Une donneuse de cellules souches autochtone sauve une vie à l’opposé du pays

16 septembre 2024
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Stem cell donor from Potlotek First Nation

Veronica, Micmaque du Cape Breton, était donneuse de cellules souches compatible avec Judee, Métisse de l’île de Vancouver

Le parcours de Veronica Marshall-Bernard pour le don de sang a commencé par une affiche collée sur le babillard de son lieu de travail. 

C’était en 2006, et Veronica était une intervenante des services à la jeunesse âgée de 26 ans à Eskasoni, une grande communauté micmaque de l’île du Cap-Breton (N.-É.). Elle se souvient que l’affiche montrait la photo d’une petite fille et expliquait pourquoi elle avait besoin de sang pour survivre. 

Cette demande l’a émue. Non seulement avait-elle quatre jeunes enfants à l’époque, mais elle savait ce que c’était que de perdre des êtres chers. Sa mère, trois de ses sœurs, un frère et un neveu étaient tous décédés avant son vingtième anniversaire, à des moments différents et dans des circonstances tragiques. 

Elle a rapidement pris son premier rendez-vous pour donner du sang. 

« Je me suis dit "Je vais faire ma part. Cette petite affiche ne va plus me déranger maintenant", se souvient Veronica. Au lieu de me dire "oh, c’est tellement triste", j’ai pensé "j’ai un plan, je vais donner mon sang, c’est ma solution". » 

Mais ce qui semble être la fin n’est en fait que le début de l’histoire. Veronica a continué à donner du sang et est devenue bénévole lors de collectes de sang. La première fois qu’elle s’est rendue sur le site Web de la Société canadienne du sang, elle a remarqué qu’il y avait un menu déroulant pour le registre des cellules souches.  

Que sont les cellules souches? Quels sont les avantages du registre des cellules souches? 

Les cellules souches sont produites dans la moelle osseuse, un tissu spongieux situé au centre des gros os. À tout moment, des centaines de personnes au Canada attendent une greffe de cellules souches, et il s’agit généralement d’une question de vie ou de mort. 

Comme la plupart des personnes n’ont pas de donneur de cellules souches compatible dans leur famille, elles auront besoin de donneurs bénévoles inscrits au Registre de cellules souches de la Société canadienne du sang. Il y a plus de chances de trouver un donneur de cellules souches compatible chez une personne dont les antécédents familiaux sont similaires aux siens. C’est pourquoi la Société canadienne du sang a besoin de personnes de toutes origines, y compris de nombreuses personnes d’ascendance autochtone, pour l’aider à constituer un bassin de donneurs plus diversifié. 

Veronica a demandé la trousse gratuite pour s’inscrire. Puis, comme tant d’autres, elle a attendu. 

Ma contribution à la collecte de cellules souches s’est avérée plus importante que je ne l’avais imaginé. 

Man with arm around wife, who is a stem cell donor, on a deck with greenery
Veronica Marshall-Bernard (à droite) a été soutenue par son époux, Ty, dès le jour où elle a été contactée pour donner des cellules souches. 

Huit ans plus tard, Veronica occupe un autre poste d’assistante sociale à Eskasoni. Un jour, en rentrant de dîner, elle apprend que la Société canadienne du sang a tenté plusieurs fois de la joindre. C’est alors que son téléphone cellulaire a sonné. 

« C’était une infirmière. Elle m’a demandé si je me souvenais de m’être inscrite au registre, se souvient Veronica. Puis elle m’a dit : je vous appelle pour vous dire que vous êtes peut-être compatible. » 

Veronica était vraiment surprise et avait quelques questions, mais elle était prête à aider. À ce point, l’aide aux autres faisait partie intégrante de sa vie et de son identité. Depuis qu’elle s’est inscrite au registre des cellules souches, elle a perdu un deuxième frère qui s’est suicidé, et l’une des façons dont elle a fait face à la situation a été de chercher à se perfectionner et à trouver des occasions de soutenir les personnes en crise. 

« Le fil conducteur de ces vingt dernières années est la communauté et la guérison, ajoute Veronica. Je me soucie beaucoup des autres. J’ai beaucoup d’amour à donner. » 

Aujourd’hui, en plus d’être une fière grand-mère, Veronica est thérapeute clinique pour la Première Nation Potlotek, où son défunt père était travailleur social, ainsi que co-vice-présidente d’une association nationale pour la prévention du suicide. « Avec les pertes que j’ai subies, je pourrais avoir des pensées négatives, précise-t-elle, mais j’essaie de canaliser une grande partie de ces idées pour le bien. » 

L’expérience du don de cellules souches 

La première étape du don de cellules souches a été une série d’analyses sanguines. La Société canadienne du sang a organisé ces tests dans un hôpital de la ville voisine de Sydney, en Nouvelle-Écosse, où les infirmières étaient ravies de rencontrer une future donneuse de cellules souches. L’une d’entre elles a fait remarquer à Veronica que sa receveuse devait avoir l’impression d’avoir gagné à la loterie. « Alors que les infirmières se disputaient de façon bon enfant pour savoir laquelle d’entre elles ferait la prise de sang, j’ai commencé à penser que c’était plus important que je ne le pensais », explique-t-elle. 

Son mari et ses enfants étaient également heureux qu’elle donne des cellules souches, mais elle a fait face à la pression d’autres membres de sa famille et de ses amis, qui craignaient qu’elle ne mette en péril sa propre santé. 

« Si tu vois une personne se noyer devant toi et qu’elle a la main tendue, vas-tu la laisser se noyer? », a-t-elle demandé à son père. Lorsqu’il l’a emmenée à l’hôpital de Halifax le jour du don, elle a été très contente que l’une des infirmières prenne le temps de lui expliquer le processus et de lui dire à quel point ce don était spécial. 

Veronica a passé la nuit à Halifax après le don et est retournée au Cap-Breton le lendemain, en pleine forme. À ce moment-là, les sentiments de son père étaient passés de la peur à la fierté. « Il a fini par être l’un de mes plus grands supporters par la suite », révèle-t-elle. 

 Le processus du don de cellules souches 

« Je m’appelle Judee et vous m’avez sauvé la vie. » 

Stem cell transplant recipient smiling on deck of a boat at sunset
Judee Bowman Reid, qui vit sur l’île de Vancouver, a reçu les cellules souches données par Veronica.

Même si elle avait donné l’autorisation d’être contactée, Veronica ne savait pas si elle entendrait un jour parler de la personne qui avait reçu ses cellules souches. Mais peu après la fin de la période d’attente obligatoire d’un an, elle se trouvait à Calgary pour une formation lorsqu’un courriel a atterri dans sa boîte de réception. 

Elle a d’abord pensé qu’il s’agissait d’un pourriel. Puis elle a vu les mots : « Je m’appelle Judee Bowman Reid et vous m’avez sauvé la vie. » L’auteure avait joint une photo et des détails sur son combat contre un cancer du sang appelé lymphome folliculaire. 

Oubliant complètement l’heure tardive et le décalage horaire, Veronica a composé le numéro de son mari, Ty, en Nouvelle-Écosse. 

« Il a fini par répondre et j’ai pleuré à chaudes larmes, raconte-t-elle. Je n’arrivais même pas à m’exprimer. J’essayais de me ressaisir pour lui lire. Puis il m’a dit : "Tu as réussi. Tu as sauvé la vie de quelqu’un." » 

Une amitié naît entre une donneuse et une receveuse de cellules souches

Pillow with map of Canada with a red thread connecting Nova Scotia and British Columbia.
Judee a confectionné ce coussin à sa donneuse de cellules souches, Veronica, symbolisant leur lien bi-côtier.

Comme Judee vivait à l’autre bout du pays, sur l’île de Vancouver, elle et Veronica se sont d’abord liées d’amitié par téléphone, par courriel et par textes, tandis que leurs familles communiquaient également par l’intermédiaire des réseaux sociaux. 

Lorsqu’elles ont commencé à se connaître, Judee avait une soixantaine d’années. Elle était mariée et avait trois enfants adultes, dont un de l’âge de Veronica. Elle avait également joui d’une bonne santé pendant la majeure partie de sa vie. Le premier signe de problème avait été de se sentir « très mal » après un voyage au Mexique en 2011. 

« Je me suis dit que j’avais peut-être attrapé un microbe là-bas », se rappelle Judee. 

Lorsqu’elle a finalement reçu un diagnostic plusieurs mois plus tard, il était terrible. Non seulement était-elle atteinte d’un cancer, mais celui-ci était à un stade avancé. 

« J’ai suivi trois programmes de chimiothérapie au cours des trois années suivantes », explique Judee, mais aucun d’entre eux n’a permis de mettre le cancer en rémission très longtemps. 

La seule option qui s’offrait à elle était une greffe de cellules souches. Au départ, elle espérait que les cellules souches seraient compatibles avec celles de sa famille. Elle avait été adoptée lorsqu’elle était bébé, mais avait découvert son héritage métis à l’âge adulte et avait tissé des liens avec les deux côtés de sa famille biologique. 

« Je leur ai fait passer le mot et ils ont été testés, mais aucun résultat n’est sorti. Il n’y avait aucune compatibilité », dit-elle. 

Et même après que le registre des cellules souches eut identifié une personne compatible en la personne de Veronica, les choses ne se sont pas déroulées sans heurts. À un moment donné, la greffe a été annulée parce que l’état de santé de Judee était jugé trop précaire. 

Veronica se souvient également de ce revers, car son don avait été annulé au même moment. Ce fut un choc. Depuis les tests visant à confirmer qu’elle était donneuse, elle s’était concentrée sur son propre régime alimentaire et sa santé, espérant donner à sa receveuse les meilleures chances de guérison. Elle craignait maintenant qu’elle ne meure. 

« J’étais vraiment effondrée, raconte-t-elle. Je m’étais dit que nous allions y arriver et que cette personne allait s’en sortir. » 

Ces deux femmes aux deux extrémités du pays ont donc été extrêmement soulagées lorsque l’intervention a été reprogrammée quelques semaines plus tard. Malheureusement, alors que Veronica a repris le travail immédiatement après le don, le rétablissement de Judee après la transplantation a été plus difficile. Elle a développé une septicémie, une réaction extrême à l’infection mettant sa vie en danger, et une complication permanente appelée maladie du greffon contre l’hôte. Mais aujourd’hui, à l’approche du dixième anniversaire de sa greffe de cellules souches, elle se sait chanceuse d’être en vie. 

Woman receiving stem cell transplant in hospital
La greffe de cellules souches de Judee Bowman Reid a été rendue possible grâce à une donneuse de cellules souches de l’autre côté du pays. Les chances de compatibilité sont plus grandes avec un donneur d’ascendance similaire, et Judee et sa donneuse Veronica sont toutes deux autochtones. 

« Elle a été un bonheur dans ma vie. » 

En septembre 2022, Judee et Veronica ont enfin pu se rencontrer en personne. Veronica a passé une semaine chez Judee, près de Duncan, en Colombie-Britannique. 

« C’était formidable de la rencontrer. Elle a été un bonheur dans ma vie et une raison de vivre, déclare Judee. Je suis très attachée à elle ». 

Veronica garde elle aussi de merveilleux souvenirs de ce voyage. Elle a découvert la belle communauté côtière de Judee et a été surprise de voir à quel point elle se sentait chez elle. Elle a aussi découvert leur amour commun pour les magasins d’occasions. Elle a marché bras dessus bras dessous avec Judee et sa nièce dans un marché en plein air et elle a entendu le chaleureux « Je ne veux pas que tu t’en ailles, fille » de Judee à la fin de sa visite. 

« Nous avons eu une connexion comme je n’en ai jamais connue, déclare Veronica, qui a passé quelques jours de plus avec Judee à Calgary l’année suivante. J’ai l’impression qu’elle est moi-même dans 30 ans, quand je songe à notre humour et nos centres d’intérêt similaires, tout y est. » 

Woman next to her stem cell donor
Judee, ici à gauche, avec Veronica, sa donneuse de cellules souches. 

Elles ne peuvent s’empêcher de s’interroger sur leur passé commun, le mélange génétique qui, au fil des générations, les a conduits à naître compatibles. Mais elles sont surtout reconnaissantes de s’être trouvées l’une l’autre. Les personnes issues des Premières Nations, des Métis et des Inuits représentent moins de deux pour cent de l’ensemble des personnes inscrites au registre des cellules souches. Pour Judee, c’est un miracle que Veronica ait été l’une d’entre elles, lui donnant la chance de rencontrer un arrière-petit-fils, de voyager avec son mari et de passer plus d’étés à s’occuper du jardin qui est l’une de ses grandes joies. 

« Je vis ma vie, je regarde vers l’avenir et je reste proche de Veronica parce qu’elle est ma salvatrice, ajoute Judee. Je ressens de la gratitude et un sentiment, disons-le, d’une incroyable chance pour tout ce qui m’est arrivé. » 

Le fait que cela ait fonctionné semble tout aussi miraculeux pour Veronica, qui a également appris la fragilité de la vie et de la santé à travers des expériences difficiles. 

« S’il m’était arrivé quelque chose, ou si je n’avais pas été en bonne santé pour faire le don, la pauvre Judee ne serait probablement pas là, confie-t-elle. J’en suis consciente. » 

En faisant son don, Veronica a l’impression d’avoir reçu un cadeau en même temps qu’elle en a donné un. Sauver Judee ne pourra jamais effacer la perte et le chagrin qu’elle et sa famille ont endurés, mais cela a donné un nouveau sens à la lutte qu’elle mène pour les surmonter. 

« C’est probablement l’une des choses les plus édifiantes que j’ai vécue jusqu’à ce jour », déclare-t-elle. 

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