Estimation de la probabilité de transmission du VIH chez les donneurs hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes à l’aide de modèles biocomportementaux et mathématiques

Résumé

Contexte

La modélisation mathématique des risques potentiels inhérents à la modification des critères d’admissibilité aux dons de sang et de plasma des hommes gais et bisexuels est nécessaire du point de vue de l’hémovigilance, mais également pour mettre en place des stratégies de réduction des risques (p. ex. désactivation des agents pathogènes). 

Cette étude avait pour objectif de produire de nouvelles données et de meilleures prévisions des risques sur lesquelles baser les politiques d’admissibilité au don de sang et de produits sanguins au Canada. 

À partir de données portant sur des hommes gais et bisexuels séronégatifs pour le VIH vivant à Montréal, Toronto et Vancouver, cette étude proposait d’estimer l’incidence du VIH dans un échantillon d’hommes gais et bisexuels. On a demandé aux participants de donner leur avis sur le caractère acceptable de différentes questions sur leur historique sexuel afin de déterminer si ces questions pourraient être utilisées pour identifier les donneurs susceptibles d’être porteurs du VIH ainsi que la probabilité qu’ils donnent du sang dans le cas où un processus de sélection alternatif serait adopté. 

Protocole

Les chercheurs ont proposé d’effectuer le suivi sur un an d’hommes gais et bisexuels séronégatifs recrutés dans le cadre de l’étude Engage. Il s’agit d’une étude de cohorte mixte et transversale réalisée à Vancouver, Toronto et Montréal. Les participants à cette étude sont des hommes cisgenres et transgenres, âgés d’au moins 16 ans au début de l’étude et ayant eu un rapport sexuel avec un autre homme dans les 6 mois précédents précédent le début de l’étude. L’échantillon initial a été constitué selon un échantillonnage fondé sur les répondants.  

À la première visite, les participants ont répondu à un questionnaire électronique (en français et en anglais) et ont passé différents tests de dépistage (gonorrhée, chlamydia, hépatites b et C, syphilis et VIH). Un an après, entre mai 2018 et février 2021, ils ont dû de nouveau répondre au questionnaire — ainsi qu’à d’autres questions sur le caractère acceptable du processus actuel de sélection des donneurs de sang et d’un processus de sélection alternatif, basé sur le mode de vie des donneurs — et se soumettre aux mêmes tests de dépistage. 

L’échantillon initial de l’étude Engage était constitué de 1982 hommes séronégatifs pour le VIH (séronégativité confirmée en laboratoire). Un an après, des visites de suivi ont été menées auprès de 1297 hommes séronégatifs ou au statut inconnu (725 à Montréal, 237 à Toronto et 350 à Vancouver). L’âge moyen des participants au début de l’étude était de 34,9 ans (ET = 12,2, âge médian = 31), et la majorité des participants s’identifiaient comme gais (81 %), bisexuels (7 %) ou queers (8 %). En utilisant les données recueillies lors des visites effectuées entre février 2017 et août 2021 auprès des participants séronégatifs au moment de l’échantillonnage initial et au moment du suivi d’un an (n = 2008), nous avons estimé les ratios de taux d’infection au VIH et la capacité des critères d’admissibilité au don de sang à détecter une séroconversion à l’aide d’un modèle de régression de Poisson ajusté à l’échantillonnage fondé sur les répondants. 

Résultats

Dans les trois régions métropolitaines, le taux d’incidence du VIH était de 0,4|100 années-personnes [IC à 95 % : 0,3 à 0,6]. Dans notre échantillon, les facteurs suivants étaient associés à la séroconversion au VIH : avoir moins de 30 ans (ratio des taux ajustés = 9,1; IC à 95 % : 3,2 à 26,2), avoir eu entre 6 et 10 partenaires sexuels au cours des 6 derniers mois (ratio des taux ajustés = 5,3; IC à 95 % : 2,1 à 13,5) ou plus de 10 partenaires sexuels au cours des six derniers mois (ratio des taux ajustés = 8,4; IC à 95 % : 3,4 à 20,9) — contrairement à 1 à 6 partenaires sexuels, et avoir indiqué la consommation de cristaux de méthamphétamine pendant l’acte sexuel au cours des 6 derniers mois (ratio des taux ajustés = 4,2; IC à 95 % : 1,5 à 11,6). Il a été déterminé que les critères de sélection suivants permettraient d’atteindre une sensibilité de 100 % — et une valeur prédictive négative de 100 % — pour la détection des participants à l’étude Engage s’étant séroconvertis : consommation de drogues injectables, plus de 2 partenaires sexuels anaux et un nouveau partenaire sexuel anal. Ces critères de sélection auraient également pour effet d’exclure du don de sang 63 % des participants à l’étude Engage. 

Concernant les questions pour l’admissibilité au don de sang, seule une minorité de participants a indiqué être prête à donner du sang dans le cas où il faudrait respecter une période de non-admissibilité, quelle qu’elle soit, spécifique aux hommes gais et bisexuels. La majorité des participants a indiqué qu’elle respecterait une période de non-admissibilité de 3, 6 ou 12 mois — c’est-à-dire qu’ils n’essaieraient pas de donner du sang, bien qu’une minorité d’entre eux considèrent qu’une politique de sélection des donneurs basée sur une période de nonadmissibilité est acceptable (par rapport à une politique basée sur le mode de vie). 

a graph detailing MSM deferral rates to percentage ratios

 

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Ces résultats suggèrent que la majorité des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ne trouvent pas acceptables les politiques de sélection des donneurs basées sur une période de non-admissibilité, y compris la récente politique qui prévoit une période de non-admissibilité de 3 mois. Nous avons obtenu des résultats mitigés pour les politiques de sélection alternatives, telles que celle d’autoriser les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes séronégatifs pour le VIH qui prennent un traitement de prophylaxie préexposition (PPrE) à donner du sang. Selon les résultats, la nouvelle politique basée sur une période de non-admissibilité de 3 mois ne devrait pas entraîner d’augmentation d’intérêt de la part des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes pour le don de sang. 

En outre, les résultats suggèrent que l’utilisation de 3 questions sur la consommation de drogues et sur le nombre de partenaires sexuels au cours des 6 derniers mois permettrait d’identifier correctement les donneurs potentiels, y compris les hommes gais et bisexuels, qui présenteraient un risque élevé d’infection récente au VIH. Ces questions permettraient également de réduire d’un tiers la proportion d’hommes gais et bisexuels sexuellement actifs exclus du don de sang, et d’augmenter ainsi le nombre de donneurs potentiels parmi les hommes gais et bisexuels. 

Applications

Malgré l’ajustement réalisé à l’aide de poids de probabilité RDS-II, certains hommes gais ou bisexuels pourraient tout de même être en sous ou surreprésentation. Étant donné que le recrutement de participants était limité aux trois plus grandes villes canadiennes, il n’est pas possible d’étendre les résultats obtenus aux hommes gais et bisexuels vivant en dehors des grands centres urbains. Toutefois, dans chaque province, l’épidémie de VIH est fortement concentrée parmi les hommes gais et bisexuelles vivant dans ces 3 villes. 

La proportion de participants pour lesquels il n’a pas été possible d’effectuer de suivi après la phase initiale pour cause de défection était de 16 %, 29 % et 22 % à Montréal, Toronto et Vancouver, respectivement. Le déséquilibre des covariables entre les participants avec suivi et ceux sans suivi était peu élevé (différence moyenne standardisée comprise entre 0,1 et 0,3146) et limité aux prédicteurs d’infection au VIH suivants : relations sexuelles avec prise de drogues (chemsex), relations sexuelles avec des partenaires séropositifs au VIH, hommes âgés de moins de 30 ans et utilisation de drogues injectables. Il est donc peu probable que les participants sans suivi aient influé sur les estimations des valeurs prédictives négatives. 

Les fournisseurs de sang s’inquiètent des infections au VIH que peuvent contracter les donneurs potentiels avant un don, alors que l’étude Engage fournit des informations sur les pratiques des participants au cours des six mois précédant les visites. Trois participants ne s’étant pas présentés à une partie de leurs visites ont été déclarés séropositifs au VIH plus d’un an après leur dernière visite. On suppose que les pratiques que les candidats ont indiquées alors reflètent leurs pratiques au moment de leur infection. 

Considérations futures

La modélisation mathématique des risques de transmission du VIH peut permettre de déterminer une ou plusieurs catégories d’hommes gais et bisexuels dans lesquelles le taux d’incidence du VIH serait comparable à celui que l’on retrouve dans les autres populations. Cela permettra aux décideurs d’adopter des politiques plus sûres et plus équitables en matière de don de sang au Canada.

Publication

Lambert, G., Cox, J., Fourmigue, A., Dvorakova, M., Apelian, H., Moodie, E. E. M., Grace, D., Skakoon-Sparling, S., Moore, D. M., Lachowsky, N., Jollimore, J., Lal, A., Parlette, A., Hart, T. A., & Engage Study Team (2022). HIV incidence and related risks among gay, bisexual, and other men who have sex with men in Montreal, Toronto, and Vancouver: Informing blood donor selection criteria in Canada. Transfusion, 62(12), 2555–2567. https://doi.org/10.1111/trf.17127   

Hart, T. A., Moore, D. M., Noor, S. W., Lachowsky, N., Grace, D., Cox, J., Skakoon-Sparling, S., Jollimore, J., Parlette, A., Lal, A., Apelian, H., Sang, J. M., Tan, D. H. S., Lambert, G., & Engage Study Team (2021). Prevalence of HIV and sexually transmitted and blood-borne infections, and related preventive and risk behaviours, among gay, bisexual and other men who have sex with men in Montreal, Toronto and Vancouver: results from the Engage Study. Canadian journal of public health = Revue canadienne de santé publique, 112(6), 1020–1029. https://doi.org/10.17269/s41997-021-00546-z  

Le savoir en action

Les résultats de cette étude ont permis d’appuyer le fait qu’en plus des autres critères d’exclusion en place, les questions sur les pratiques sexuelles utilisées pour déterminer l’admissibilité au don permettront d’assurer la sécurité de la chaîne transfusionnelle.