Collaborer avec les communautés africaine, caribéenne et noire pour réduire les obstacles au don de sang
Utilisation des sciences sociales pour comprendre pourquoi certaines communautés rencontrent des obstacles au don de sang et comment remédier aux problèmes existants
Biba Tinga avait dix-neuf ans lorsqu’on a diagnostiqué à son fils une anémie falciforme. L’anémie falciforme, ou drépanocytose, déforme les globules rouges : habituellement ronds et souples, ils deviennent raides et allongés, ce qui les rend plus susceptibles de se coincer dans les petits vaisseaux sanguins. Cette maladie provoque des accidents vasculaires cérébraux et des lésions aux organes, et accroît le risque de complications en cas d’infection. Pour Biba, il n’y a pas pire nouvelle pour une mère que d’apprendre que son fils de six mois va peut-être mourir.
Par bonheur, il est encore en vie grâce à de régulières transfusions sanguines qui permettent d’atténuer les symptômes de la maladie. Toutefois, puisque le seul traitement existant, la greffe de moelle osseuse, n’était pas envisageable, Biba savait que son fils aurait besoin de transfusions tout au long de sa vie.
L’anémie falciforme est une maladie héréditaire qui touche plus fréquemment les personnes originaires de l’Afrique, des Caraïbes, du Moyen-Orient et du Sud de l’Asie. Dans le cadre de leur prise en charge, les personnes atteintes d’anémie falciforme ont souvent besoin de transfusions sanguines ou d’échanges de globules rouges. Pour un résultat optimal, les globules rouges des donneurs doivent posséder les mêmes marqueurs (antigènes), qui sont eux aussi hérités des parents, que ceux du receveur. Lorsque le receveur a besoin de sang possédant de rares antigènes, il dépend particulièrement des donneurs avec lesquels il a des origines ethniques communes. Or, le nombre de donneurs d’origine africaine, caribéenne, moyen-orientale et sud-asiatique est faible : 1 % seulement des donneurs de sang se déclarent Noirs et 7 % des donneurs déclarent être d’origine moyen-orientale ou sud-asiatique.
L’Association d’anémie falciforme du Canada (AAFC) travaille sans relâche pour recruter des donneurs de seconde génération (18-35) au sein des communautés noires et s’associe parfois à la Société canadienne du sang pour ce faire.
Biba, qui est présidente de l’AAFC, Dre Jean Walrond, ancienne présidente de la Sickle Cell Foundation of Alberta et Jennie Haw, sociologue de la Société canadienne du sang, œuvrent pour faire changer les choses.
« Ensemble, nous avons travaillé à la réalisation d’une étude communautaire qui s’intéressait aux obstacles et aux facteurs favorisant le don chez les jeunes adultes noirs ou originaires de l’Afrique ou des Caraïbes », explique-t-elle.
Étudier les obstacles au don de sang
En 2021, l’équipe de recherche a obtenu une subvention pour mener à bien une étude qualitative visant à mieux comprendre les obstacles au don de sang chez les jeunes adultes issus de ces communautés. L’étude s’est en outre penchée sur les facteurs favorisant le don et a évalué les opinions des jeunes adultes sur le matériel pédagogique et de recrutement produit par l’Association d’anémie falciforme du Canada et la Société canadienne du sang.
« Certains d’entre eux ne pouvaient pas donner ou ne donnaient pas en raison des critères d’exclusion, notamment concernant le paludisme (ou malaria) », explique Jenny Haw, faisant allusion à l’impossibilité de faire un don de sang si la personne a déjà eu le paludisme. « Nos travaux ont également révélé la complexité des obstacles au don et leurs interactions. Il est nécessaire de modifier les critères d’exclusion, et cette initiative doit s’accompagner de mesures supplémentaires visant à lever d’autres obstacles. »
Certains participants de l’étude ont toujours cru que les systèmes d’approvisionnement en sang ne voulaient pas du sang des personnes noires. Parmi les autres obstacles, citons la méconnaissance du système du sang, du processus de don et de l’incidence du don sur leur propre santé physique. De nombreux participants ont souhaité une implication plus soutenue de la Société canadienne du sang dans leurs communautés.
« Tout cela contribuant à engendrer de la méfiance envers les systèmes transfusionnels, il est important de constamment s’engager et s’impliquer auprès de ces communautés afin que les choses changent », continue Biba.
Une autre erreur consiste à supposer que toutes les personnes issues de ces communautés ont les mêmes besoins et priorités.
« Il n’existe pas une seule “communauté noire”. Il s’agit d’un groupe très divers et hétérogène, explique Jenny Haw. D’après les données du dernier recensement, 50 % environ des personnes noires sont des immigrants de première génération au Canada et proviennent de quelques 125 pays différents. »
Cela dit, les jeunes adultes qui ont participé à l’étude ont également mentionné les facteurs qui leur permettraient de donner. Ils souhaitaient notamment en savoir plus sur le processus de don de sang, sur l’anémie falciforme et sur la nécessité pour les receveurs d’obtenir du sang provenant d’une personne en qui ils ont confiance au sein de leur communauté.
Collaborer avec les communautés pour réduire les obstacles au don de sang
Jenny Haw et ses collaborateurs ont publié leurs constatations dans une revue avec comité de lecture et, conjointement avec un comité consultatif communautaire, ont formulé quelques recommandations visant à améliorer la façon dont la Société canadienne du sang collabore avec les jeunes adultes noirs et d’origine africaine ou caribéenne.
« Il est essentiel que la Société canadienne du sang établisse des relations et instaure un lien de confiance avec ces communautés, et qu’elle soit présente là où elles se trouvent. Cela commence par un dialogue et une présence dans les communautés, explique Jenny Haw. Les stratégies visant à éliminer les obstacles au don ne peuvent venir uniquement de la Société canadienne du sang, mais doivent plutôt être créées en collaboration avec les communautés. C’est à ces dernières de prendre les commandes et à la Société canadienne du sang d’agir comme un allié solide. »
Les autres recommandations sont les suivantes : continuer d’ouvrir les critères d’admissibilité des donneurs tout en garantissant la sûreté du système du sang, et faire preuve de transparence quant à ces critères et aux raisons pour lesquelles ils sont en place.
Biba et Jenny Haw sont également les coauteures d’un guide qui se fonde sur les résultats de travaux de recherche pour aider les membres des communautés à recruter des donneurs de sang.
« Nous savons que si nous parvenons à diversifier le bassin de donneurs, nous serons davantage en mesure d’offrir des soins de santé plus équitables et des produits sanguins à tous au pays », affirme Jenny Haw.
Quant à Biba, elle espère que grâce à ces travaux, d’autres membres de sa communauté n’auront pas à connaître les mêmes craintes et qu’ils se sentiront rassurés sur le fait qu’ils auront toujours accès aux produits sanguins nécessaires, pour eux-mêmes ou pour leurs proches.
Jenny Haw et Biba continuent de collaborer à une étude de suivi visant à réduire les obstacles au don auxquels se heurtent diverses communautés d’origine africaine. Kelly Holloway, sociologue de la Société canadienne du sang, mène des travaux semblables auprès des communautés d’Asie du Sud.