Piratage : le rôle révélé des plaquettes dans les infections par le virus de la dengue
En bref ...
Les unités de plaquettes et de globules rouges peuvent contenir le virus vivant de la dengue et le reproduire dans des conditions d’entreposage normales. Toutefois, les unités plus âgées présentent un risque d’infection nettement moindre.
Comme tous les virus, celui de la dengue a besoin d’un autre organisme vivant (un hôte) pour se reproduire et survivre. Les virus pénètrent dans les cellules de l’hôte et utilisent leur mécanisme interne pour reproduire leur propre matériel génétique (l’ARN simple brin dans le cas de la dengue). Les cellules infectées libèrent ensuite de nouveaux virus et le cycle d’infection se poursuit.
Les symptômes du virus de la dengue surviennent de 3 à 14 jours après l’infection. Toutefois, environ la moitié des personnes infectées ne manifestent jamais de symptômes en dépit de la quantité élevée de virus dans leur sang (jusqu’à un million et plus par millilitre de sang). Comme le sang destiné à la transfusion peut être prélevé chez un donneur infecté qui ne présente aucun symptôme, cela inquiète les fournisseurs de sang. La dengue a également un effet sur les cellules du sang. Dans les cas les plus graves, l’un des principaux symptômes est la thrombocytopénie (diminution du nombre de plaquettes). Les plaquettes sont de petites cellules sanguines sans noyau qui jouent un rôle important dans la coagulation sanguine et dans l’immunité. On a constaté que celles des personnes infectées par le virus de la dengue contiennent des particules pseudo-virales.
Toutefois, on ne connaît pas le rôle exact des plaquettes dans l’infection par ce virus. On ne sait pas non plus dans quelle mesure ce dernier peut survivre dans les composants sanguins pendant leur entreposage. Les plaquettes et autres cellules n’ayant pas de noyau (dont les globules rouges) n’ont jamais été considérées comme des participants possibles au cycle de vie d’un virus; on croyait qu’elles n’étaient que des spectateurs innocents.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Les chercheurs ont examiné l’hypothèse selon laquelle le virus de la dengue pénètre dans les plaquettes et, une fois à l’intérieur, utilise le mécanisme cellulaire de chaque plaquette pour produire des protéines virales et reproduire son matériel génétique, c’est-à-dire son génome. Pour vérifier leur hypothèse, ils ont employé une méthode appelée technique d’amplification en chaîne par polymérase quantitative en temps réel (qRT-PCR) afin de mesurer la quantité de matériel génétique viral fixé aux plaquettes et ayant pénétré dans celles-ci. De plus, ils ont examiné les quantités de protéines virales au moyen d’une technique dite de l’immunobuvardage, laquelle utilise des anticorps précis pour déceler une protéine d’intérêt.
Les chercheurs se sont ensuite demandé ce qui se produirait si les composants sanguins étaient infectés par le virus de la dengue. Ils ont utilisé une plus petite quantité virale afin de reproduire le niveau de virus habituellement présent chez un donneur infecté asymptomatique. Les chercheurs ont ajouté le virus aux unités de plaquettes et de globules rouges, puis ils ont entreposé celles-ci dans des conditions normales de stockage. Ils ont mesuré la quantité de virus au moyen de la technique qRT-PCR et d’une méthode de dosage qui permet de cultiver le virus et de le mesurer directement.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- Le virus de la dengue se fixe aux plaquettes à 37 °C (température du corps) et à 25 °C (température ambiante et température d’entreposage de la banque de sang). L’efficacité de la fixation est plus faible à 25 °C. Deux protéines de surface des plaquettes (la DC-SIGN et la HSP) sont des récepteurs qui permettent au virus de se fixer.
- Le virus de la dengue entraîne une activation plaquettaire. La stimulation des plaquettes par la thrombine, enzyme provoquant la coagulation sanguine, a pour effet de multiplier par deux la capacité de fixation du virus aux plaquettes.
- Le génome du virus de la dengue se réplique, et des protéines virales de la dengue sont synthétisées par les plaquettes. De nouveaux virus infectieux de la dengue sont générés par les plaquettes infectées.
- Même si l’on ramène le niveau de virus à celui que présente un donneur asymptomatique, le virus infectieux de la dengue persiste et son génome peut se répliquer dans les unités de plaquettes et de globules rouges.
- Le virus infectieux de la dengue peut continuer de se reproduire dans les unités de plaquettes et de globules rouges entreposées. Toutefois, sa prolifération ne suffit pas à contrebalancer la dégradation globale des virus. En d’autres mots, les unités plus âgées contiennent moins de virus infectieux de la dengue.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Cette étude nous a permis d’approfondir notre connaissance du processus de réplication du virus de la dengue. Bien que les plaquettes n’aient pas de noyau, ces minuscules cellules sanguines renferment tous les éléments nécessaires pour synthétiser des protéines et répliquer l’ARN du virus. Les conclusions sans précédent de cette étude démontrent que le virus de la dengue pirate le mécanisme des plaquettes pour produire des protéines virales et répliquer son propre génome.
Toutefois, on ne connaît pas encore très bien la corrélation entre ce phénomène et la thrombocytopénie observée chez certaines personnes infectées. Pour la première fois, on envisage la possibilité que des antigènes viraux soient exposés directement à la surface des plaquettes. La découverte de la reproduction du virus de la dengue dans les unités de globules rouges a été surprenante, étant donné que ces cellules n’ont pas de mécanisme de réplication. On soupçonne l’intervention d’autres cellules résiduelles présentes dans les unités de globules rouges.
Les systèmes d’approvisionnement en sang du monde entier sont vulnérables au virus de la dengue. On a recensé cinq cas de transmission du virus par transfusion sanguine, tous dans des régions où la dengue est présente ou endémique. Et il est probable que bien d’autres cas soient passés inaperçus. L’augmentation des voyages, la mondialisation et le réchauffement planétaire sont tous des facteurs qui contribuent à l’expansion des habitats de moustiques.
Par conséquent, la dengue est considérée comme une menace infectieuse émergente pour le système d’approvisionnement en sang du Canada. Cette étude montre que les unités de plaquettes ou de globules rouges provenant d’un donneur asymptomatique porteur du virus de la dengue peuvent contenir le virus. De surcroît, le virus demeure infectieux et peut continuer de se reproduire dans des composants sanguins entreposés. La politique d’exclusion des donneurs qui ont voyagé dans des zones présentant un risque d’exposition au paludisme s’applique aussi aux régions où la dengue est endémique, ce qui constitue un filet de sécurité pour l’approvisionnement en sang. De nouvelles techniques permettant de détruire les virus dans le sang pourraient aussi être efficaces contre la dengue. Elles font l’objet d’études.
À propos de l’équipe de recherche
La recherche a été menée dans le laboratoire d’Ed Pryzdial, chercheur à la Société canadienne du sang, directeur associé du Centre de recherche transfusionnelle et professeur clinique au département de pathologie et de médecine de laboratoire à l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver, par Michael Sutherland, associé de recherche principal et professeur adjoint d’enseignement clinique, et le Dr Ayo Simon, à titre de boursier de recherche postdoctorale maintenant professeur adjoint à l’Université Ahmadu Bello. L’étude portant sur la présence du virus de la dengue dans les produits sanguins a été réalisée en collaboration avec des collègues de la Société canadienne du sang : Katherine Serrano et Peter Schubert, tous deux associés de recherche au Centre d’innovation et professeurs cliniciens agrégés au département de pathologie et de médecine de laboratoire à l’Université de Colombie-Britannique, et Jason Acker, chercheur principal en développement au Centre d’innovation et enseignant au département de pathologie et de médecine de laboratoire à l’Université de l’Alberta.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Simon AY, Sutherland MR, Pryzdial ELG: Dengue virus binding and replication by platelets. Blood 2015; 126:378-85. [2] Sutherland MR, Simon AY, Serrano K, Schubert P, Acker JP, Pryzdial ELG: Dengue virus persists and replicates during storage of platelets and red blood cell units. Transfusion 2016:doi10.1111/trf.13454
Remerciement : La Société canadienne du sang remercie les généreux donneurs de sang qui ont permis de mener cette étude. Les travaux de recherche ont été réalisés grâce au soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada et de la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères provinciaux, territoriaux et fédéral de la Santé. Les opinions exprimées dans le présent bulletin ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada. Le Dr A. Y. Simon a reçu une bourse de recherche postdoctorale de la Société canadienne du sang pour participer à l’étude.
Mots-clés: pathogène, sécurité, approvisionnement en sang, dengue, virus, plaquettes, globules rouges.
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Ed Pryzdial par courriel à ed.pryzdial@blood.ca.
Le bulletin concentré de recherche est un outil de mobilisation des connaissances élaboré par le Centre d’innovation de la Société canadienne du sang.