L’immunocamouflage au service des greffés et des transplantés
En bref ...
Une nouvelle technique qui trompe le système immunitaire pourrait rendre la greffe de tissus plus sûre et plus accessible.
La réponse immunitaire est déclenchée grâce à un processus que l’on appelle la présentation des antigènes. Des globules blancs spécialisés, les cellules présentatrices d’antigènes, absorbent puis présentent les antigènes, les marqueurs étrangers, à leur surface. Les lymphocytes T interagissent avec ces cellules et identifient les antigènes que celles-ci présentent à leur surface comme du non-soi. Cela provoque l’activation des lymphocytes T, qui se transforment en lymphocytes T auxiliaires et en lymphocytes T cytotoxiques (encore appelés cellules tueuses), et qui commencent à attaquer et à détruire tout corps présentant ces marqueurs étrangers. Bien que ce processus soit essentiel dans la lutte contre les maladies, une réaction inflammatoire non contrôlée peut s’avérer dangereuse, voire mortelle pour l’hôte. Un autre type de lymphocytes T, les lymphocytes T régulateurs limitent l’ampleur et la durée de la réponse immunitaire en empêchant la production des lymphocytes T cytotoxiques et auxiliaires.
Traditionnellement, on utilise en médecine transplantatoire des immunosuppresseurs qui réduisent la réaction inflammatoire en inhibant la prolifération des lymphocytes T proinflammatoires. Bien que ces médicaments soient nécessaires à la survie du greffon, ils causent des effets secondaires néfastes. Aussi, afin d’éviter ces effets indésirables, la recherche fondamentale et clinique essaie depuis peu d’accroître l’activité des lymphocytes T régulateurs. Cette approche étant complexe et nécessitant beaucoup de temps, une solution plus simple serait très utile.
Les chercheurs de la Société canadienne du sang ont mis au point une technique qui permet de dissimuler la présence des greffons au système immunitaire du patient et, donc, d’augmenter les chances de réussite de la procédure. On peut, en effet, dissimuler les antigènes à l’aide de polyéthylène glycol (PEG), un polymère utilisé dans de nombreux médicaments et traitements thérapeutiques depuis près de 40 ans. Cette technique d’immunocamouflage permet de dissimuler les cellules greffées ou transplantées au système immunitaire du receveur sans avoir de répercussions sur leur fonction et leur survie
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Les chercheurs ont étudié les effets de globules blancs recouverts de PEG sur la production de différents types de lymphocytes T : cytotoxiques, auxiliaires et régulateurs. Ils ont tout d’abord recouvert la surface des globules blancs d’une souris de PEG en utilisant un processus chimique. Ils ont ensuite mélangé les globules blancs enduits de PEG avec des globules blancs normaux (sans PEG) d’une autre souris. Le mélange de ces globules blancs provenant de deux souris a déclenché une réponse immunitaire, ce qui a entraîné la production des différents types de lymphocytes T.
Les chercheurs ont alors comparé le nombre de lymphocytes T enduits de PEG produits pour chaque type de lymphocyte au nombre de lymphocytes T sans PEG en se basant sur les différents marqueurs et protéines présents à leur surface.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- La technique d’immunocamouflage s’est révélée très efficace pour dissimuler les protéines à la surface des lymphocytes T, à savoir celles qui sont impliquées dans les interactions entre les cellules présentatrices d’antigènes et les lymphocytes T nécessaires au déclenchement de la réaction inflammatoire.
- L’enduisage des globules blancs avec du PEG a inhibé la production des lymphocytes T cytotoxiques et auxiliaires.
- L’enduisage des globules blancs avec du PEG a augmenté la production des lymphocytes T régulateurs fonctionnels, lesquels réduisent la réaction inflammatoire indésirable en inhibant la production des lymphocytes T cytotoxiques et auxiliaires.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Les marqueurs que l’on retrouve sur les tissus et les organes des donneurs sont de puissants déclencheurs de la réponse immunitaire. Cette étude montre que la technique de camouflage avec du PEG donne des lymphocytes T régulateurs fonctionnels, capables d’éliminer les réactions immunitaires néfastes en inhibant la production de lymphocytes T cytotoxiques et auxiliaires.
L’enduisage des globules blancs avec du PEG pourrait permettre de supprimer les réactions immunitaires indésirables de l’hôte contre les greffons. Le nombre de lymphocytes T régulateurs du receveur pourrait être augmenté grâce à l’injection de globules blancs enduits de PEG avant et après la greffe ou la transplantation. On pourrait également injecter des globules blancs enduits de PEG aux personnes atteintes de maladies auto-immunes, dont les tissus sont attaqués et endommagés par leur propre système immunitaire, pour augmenter le nombre de leurs lymphocytes T régulateurs et éviter ainsi la réaction inflammatoire indésirable.
En conclusion, on pourrait utiliser cette technique pour prévenir le rejet des greffons tout en évitant les effets secondaires indésirables des immunosuppresseurs et en améliorant l’innocuité des greffes et des transplantations. Toutefois, une meilleure compréhension des mécanismes de production des lymphocytes T régulateurs à partir de globules blancs enduits de PEG nous permettrait de mettre au point des traitements thérapeutiques plus sûrs et plus efficaces pour réduire les réactions immunitaires indésirables observées en médecine transplantatoire et lors de la prise en charge des maladies auto-immunes.
À propos de l’équipe de recherche
Cette étude a été menée dans le laboratoire de Mark Scott, chercheur principal au Centre d’innovation de la Société canadienne du sang et professeur clinicien dans le département de pathologie et de médecine de laboratoire de l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver. L’auteure principale, Ning Kang, est chercheure associée dans le laboratoire de Mark Scott. Wendy Toyofuku est assistante de recherche principale et Xining Yang prépare son doctorat, toutes deux dans le laboratoire de Mark Scott.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Kang N, Toyofuku WM, Yang X, Scott MD: Inhibition of allogeneic cytotoxic T cell (CD8+) proliferation via polymer-induced Treg (CD4+) cells. Acta Biomater. 2017; 58:146-155
Remerciements : Cette étude a bénéficié du soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada (subvention no 123317) et du Centre d’innovation de la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement celles des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux du Canada. L’infrastructure disponible aux chercheurs, au Centre for Blood Research, à l’Université de Colombie-Britannique, a été financée par la Fondation canadienne pour l’innovation et la Fondation Michael-Smith pour la recherche en santé. Ce concentré de recherche a été préparé par Haisle Moon, qui prépare son doctorat dans le laboratoire de Jayachandran Kizhakkedathu, en collaboration avec le groupe de mobilisation des connaissances. Haisle Moon est également supervisée par Mark Scott dans le cadre du programme Accélération de Mitacs, cofinancé par la Société canadienne du sang.
Mots-clés : immunocamouflage, polyéthylène glycol, PEG, alloreconnaissance, lymphocytes T cytotoxiques, TCD8, lymphocytes T régulateurs, Treg, immunotolérance
Vous voulez en savoir plus? Veuillez communiquer avec Mark Scott, à mdscott@mail.ubc.ca.
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