Création involontaire de préjugés lors de la sélection des donneurs
Responsable du projet |
William A. Fisher (Université Western) |
Équipe |
Alexander Hofkirchner (Université Western); Sheila O’Brien (Société canadienne du sang) |
Période de financement |
Août 2017 — Mars 2021 |
Montant du financement |
65 000 $ |
Ce résumé a été préparé par l’équipe de projet avec le soutien d’un(e) spécialiste en courtage d’informations de la Société canadienne du sang. Avis de non-responsabilité : Ce projet de recherche est financé par le programme de recherche sur les HARSAH. L’objectif du programme de recherche sur les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes est d’assurer la mise en place d’activités de recherche appropriées, fondées sur des données probantes, en vue d’élaborer de nouvelles méthodes de sélection des donneurs de sang ou de plasma, qui pourraient faire évoluer la politique actuelle d’exclusion des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes tout en maintenant la sécurité de l’approvisionnement en sang. Le Programme est administré par la Société canadienne du sang et Héma-Québec avec l’appui financier du gouvernement fédéral (Santé Canada). Les opinions exprimées dans le présent document ne reflètent pas nécessairement celles de la Société canadienne du sang, d’Héma-Québec ou des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux du Canada. |
Résumé
Contexte
Le système canadien de don de sang repose sur la participation de donneurs bénévoles et cherche en même temps à écarter les donneurs à haut risque. On craint que les tentatives de filtrage des donneurs à haut risque ne suscitent, par inadvertance, des préjugés négatifs à l’égard de certains groupes — comme les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH) — qui sont traditionnellement exclus. On se demande également si la sélection des HARSAH sexuellement actifs est réellement efficace pour éliminer les personnes qui s’adonnent à des pratiques présentant un risque élevé de transmission du VIH. Cette étude s’est concentrée sur le questionnaire de sélection des donneurs de sang alors en place et a examiné si celui-ci avait engendré des préjugés négatifs involontaires à l’égard des HARSAH, étant donné que les questions relatives au dépistage des HARSAH étaient insérées entre 9 autres questions sur des comportements stigmatisés (consommation de drogues, emprisonnement, prostitution et infections sexuellement transmissibles). L’étude a également cherché à savoir si un autre questionnaire fondé sur une approche de dépistage axée sur les pratiques serait plus efficace que le questionnaire actuel pour détecter les donneurs à haut risque.
Description
Il s’agissait d’une étude nationale aléatoire en ligne portant sur 1 000 donneurs de la Société canadienne du sang. Les participants ont rempli soit le questionnaire classique d’admissibilité des donneurs avec la question sur l’activité sexuelle des HARSAH insérée dans un groupe de questions concernant des comportements stigmatisés, soit une version modifiée du questionnaire de sélection des donneurs dans laquelle la question sur l’activité sexuelle des HARSAH figurait parmi des questions à caractère plus neutre. Après que le questionnaire de sélection des donneurs a été rempli dans sa version classique ou modifiée, on a mesuré les préjugés négatifs à l’égard des HARSAH à l’aide d’un test d’association implicite gais-hétérosexuels (une mesure du temps de réaction à l’association des termes « gai » et « hétérosexuel » à des attributs positifs ou négatifs) et de l’échelle d’homonégativité moderne (une mesure des attitudes négatives à l’égard des homosexuels). On a également demandé aux participants de déterminer le taux de prévalence de certains comportements stigmatisés non caractéristiques des HARSAH parmi ces derniers. Enfin, on a interrogé les participants sur leurs propres pratiques sexuelles qui augmentent le risque de transmission du VIH (par exemple, les rapports sexuels sans préservatif avec des partenaires multiples au cours de l’année écoulée).
Résultats
Les donneurs de sang qui ont rempli le questionnaire classique ont exprimé un préjugé négatif envers les HARSAH par rapport à ceux qui ont rempli le questionnaire modifié lors du test d’association implicite. Les mesures directes des comportements envers les HARSAH et les évaluations des comportements stigmatisés parmi les HARSAH ne différaient pas entre les donneurs qui avaient rempli le questionnaire classique et ceux qui avaient rempli le questionnaire modifié. Parmi les donneurs de sang qui n’ont pas déclaré de rapports homosexuels, 8,6 % ont déclaré avoir eu des rapports sexuels péniens-vaginaux non protégés avec plus d’un partenaire au cours de l’année écoulée et 1,0 % ont déclaré avoir eu des rapports sexuels péniens-anaux non protégés avec plus d’un partenaire au cours de l’année écoulée.
Applications
Les résultats indiquent que le questionnaire classique destiné aux donneurs peut involontairement engendrer des préjugés négatifs à l’égard des HARSAH. Ces résultats justifient la nécessité de déplacer la question de sélection des HARSAH afin qu’elle ne soit pas intégrée à des éléments relatifs à des comportements stigmatisés. Comme le contenu du questionnaire ne serait pas modifié, toute recommandation visant à changer l’ordre des questions devrait être facilement mise en œuvre. De manière générale, ces résultats suggèrent qu’un élément aussi simple que l’ordre des questions d’un questionnaire peut avoir des effets négatifs sur les perceptions relatives aux donneurs; les décideurs doivent en tenir compte lors de la conception des prochaines versions du questionnaire d’admissibilité des donneurs. En outre, l’évaluation de comportements à risque précis en matière de transmission du VIH a permis de détecter un niveau non négligeable de risque de transmission du VIH chez les donneurs admissibles, qui n’a pas été détecté par la question de sélection visant les HARSAH. Ces résultats plaident en faveur du passage à des questions comportementales précises pour détecter les pratiques sexuelles des donneurs de sang qui augmentent le risque de transmission du VIH.
Le 3 juin 2019, la période d’exclusion des HARSAH a été réduite à 3 mois. La question sur le dépistage des HARSAH est en voie d’être repositionnée sur le questionnaire de sélection des donneurs. Une politique de sélection des donneurs basée sur les pratiques sexuelles ayant été adoptée par la suite, tous les candidats au don font désormais l’objet de tests de dépistage afin de déterminer s’ils sont atteints de maladies transmissibles par voie transfusionnelle.
Considérations futures
Bien que les résultats de cette étude suggèrent qu’un questionnaire fondé sur les pratiques sexuelles pourrait permettre d’éliminer certains donneurs de sang actuellement admissibles qui présentent un risque élevé de transmission du VIH, nous n’avons pas évalué comment les donneurs de sang réagiraient aux questions sur des pratiques sexuelles précises. Lors de l’étude suivante, que nous avons menée dans le cadre du financement du programme sur le don de plasma et les HARSAH, nous avons exploré en détail cette question précise. Un questionnaire axé sur les pratiques sexuelles pourrait permettre à certains HARSAH à faible risque de donner leur sang, mais pourrait dissuader les populations non HARSAH de le faire. En réalité, les résultats de l’étude suivante ont montré qu’une sélection des donneurs, quels qu’ils soient, basée sur les pratiques sexuelles était parfaitement acceptable pour les donneurs actuels (Fisher et coll., 2023)
Publications
Hofkirchner, A., Kohut, T., O'Brien, S. F., & Fisher, W. A. (2022). Assessing unintentional creation of bias against men who have sex with men as a function of exposure to blood donor screening questionnaire: A national randomized controlled trial. Transfusion, 62(7), 1399–1407. https://doi.org/10.1111/trf.16930.
Fisher, W. A., Kohut, T., Woo, H., & Haw, J. (2023). Alternatives to blood donor deferral of gay, bisexual, and other men who have sex with men: Acceptability of screening the sexual risk behavior of all blood donors. Transfusion, 63(3), 531–540. https://doi.org/10.1111/trf.17241
Le savoir en action
Les résultats de cette étude ont permis de réorganiser les questions contenues dans le questionnaire pré-don de la Société canadienne du sang (décembre 2020) dans le but de réduire les préjugés contre les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH. Cette étude a également été utilisée pour élaborer une approche globale pour la mise en œuvre d’une politique de sélection des donneurs basée sur les pratiques sexuelles ainsi que pour savoir comment appréhender la question de l’inclusivité lors de la sélection des donneurs.