L’étoffe d’un héros
Un homme d'Edmonton est qualifié de héros alors qu'il célèbre son 800e don.
La famille Muir. À l’avant, de gauche à droite : Jean, Zoe et Allan. À l’arrière, de gauche à droite : Sarah, Ella et Tristan. (photo prise avant la pandémie de COVID-19)
Lorraine Wigston a eu la vie dure au cours des six dernières années. La résidente d’Edmonton a eu de nombreux problèmes de santé, dont trois maladies potentiellement mortelles. Ralliée à la cause du don de sang depuis longtemps, elle ne tarit pas d’éloges pour un membre de sa famille élargie : Allan Muir, qui donne des produits sanguins depuis plus de 50 ans et vient de franchir la barre des 800 dons.
Lorraine a elle-même donné du sang régulièrement pendant des années. Employée d’EPCOR, elle a également participé à l’organisation d’un don de groupe dans le cadre du Défi interentreprises d’Edmonton. Jamais elle n’aurait cru que ce serait un jour à son tour d’avoir besoin de produits sanguins.
« Mes problèmes de santé ont commencé en octobre 2015. J’avais une bosse dans le cou et il s’est avéré que c’était une tumeur cancéreuse », explique Lorraine. Ce diagnostic a été suivi de deux autres mauvaises nouvelles.
« On était en 2016 et je venais de terminer 30 cycles de radiation pour mon cancer du cou quand j’ai commencé à avoir des problèmes de vision. J’avais des bleus un peu partout sur le corps. Je pensais que c’était lié au cancer ou encore aux traitements. »
Des consultations, notamment en oncologie et en optométrie, révèlent, entre autres, des saignements dans ses yeux. Après une hospitalisation de 25 jours, Lorraine reçoit un double diagnostic : elle est atteinte de sclérodermie, un groupe de maladie rare qui se caractérise par le durcissement et le resserrement de la peau et des tissus conjonctifs, et d’un purpura thrombocytopénique thrombotique (PTT), une maladie du sang qui cause la formation de caillots dans les petits vaisseaux sanguins.
Ces caillots ralentissent ou bloquent le flot sanguin, ce qui restreint l’apport en oxygène vers les organes comme le cerveau, les reins et le cœur. De graves problèmes s’ensuivent et, sans traitement, le PTT peut même être fatal.
Du plasma pour guérir
Lorraine se considère chanceuse, car son PTT a été diagnostiqué tôt et les traitements ont commencé rapidement.
Comme traitement de première intention, les médecins ont prescrit la plasmaphérèse, un processus par lequel une machine extrait le plasma du patient et le remplace par du plasma sain ou par un liquide de substitution. Ce processus est aussi connu sous le nom d’échange plasmatique.
« Mon sang est examiné aux quatre à six semaines, ou avant si les symptômes indiquent un risque de rechute. Il suffit parfois que j’attrape un rhume ou un autre virus pour rechuter », précise Lorraine.
Lorraine pendant un traitement
Lorraine a dû être hospitalisée deux fois depuis son diagnostic de PTT. En janvier 2021, elle a dû être traitée pour la COVID-19, qu’elle a contractée de son père mourant.
À chacun de ses séjours à l’hôpital, elle a eu besoin de transfusions de plasma. « Depuis mon diagnostic de PTT, j’ai probablement reçu plus de 500 unités de plasma, estime-t-elle. Et ça, je le dois à la générosité de donneurs comme Allan Muir. »
« Je peux faire ça. »
Allan Muir est une force tranquille, un homme au grand cœur. Le natif d’Edmonton et sa femme, Jean, sont mariés depuis 57 ans et ont une fille, Sarah, et trois petits-enfants : Ella, Tristan et Zoe. Lorraine fait partie de sa famille élargie depuis qu’elle a épousé l’un des cousins de Jean, il y a plus de 35 ans.
Allan a toujours aimé aider les autres. Lorsqu’il avait 18 ans, il a appris qu’il y avait un besoin de donneurs de sang et s’est dit « Je peux faire ça. » Et c’est ainsi qu’a commencé son long parcours de donneur.
Aujourd’hui âgé de 81 ans, Allan est toujours en bonne santé et peut se vanter d’avoir donné des produits sanguins durant la majeure partie de sa vie. Il a donné du sang total pendant neuf ans, des plaquettes pendant trois ans, et il donne du plasma depuis maintenant… trente-six ans!
« J’ait fait environ cinq dons de plaquettes grand volume pour un jeune garçon qui avait le cancer, souligne-t-il avec fierté. Mais après un certain temps, je trouvais ça trop dur; il fallait que je garde les bras tendus pendant environ deux heures. »
En 1985, le donneur de plaquettes devient un donneur de plasma. Depuis, il donne du plasma pratiquement toutes les semaines : à 18 h 10, presque chaque mercredi, on peut le trouver au centre de donneurs de la Société canadienne du sang, à Edmonton. Prévoyant, il prend souvent ses rendez-vous un an à l’avance.
Au fil des ans, Allan a été témoin de nombreux changements dans le processus de don, notamment dans la sélection des donneurs et l’espace entre les lits. Il en est venu à connaître une bonne partie du personnel et des autres donneurs réguliers.
« C’est bien de voir les mêmes personnes chaque semaine; on se dit bonjour, on prend des nouvelles les uns des autres et de temps en temps, on échange des recettes. »
« Je donne du plasma parce que c’est la chose à faire, et je dois dire que j’ai toujours hâte d’aller faire mon don. Les gens me disent souvent “C’est super ce que vous faites”, mais quand je leur demande s’ils veulent venir avec moi, ils me répondent toujours qu’ils sont trop occupés. »
Lorsqu’on lui parle de son impressionnant nombre de dons, Allan répond : « Je n’avais pas de plan ni d’objectif, jusqu’à ce que je me rende compte que j’approchais de la marque des 800 dons. C’est là que je me suis dit : “Tente le coup!”. »
Allan a fait son 800e don en mars dernier. Lorraine et quelques autres membres de la famille étaient sur place pour l’événement. « C’est énorme comme exploit, lance Lorraine. Il était important que nous soyons là pour le souligner, et aussi pour féliciter Allan et le remercier. Je savais qu’à cause de la COVID19, je ne pourrais pas entrer dans le centre de donneurs, mais je voulais prendre une photo avec lui, publier son incroyable tour de force sur les réseaux sociaux et encourager les gens à donner du sang et des produits sanguins. »
Un héros modeste
Aux yeux de Lorraine, Allan Muir est un héros.
« Ce sont des personnes généreuses comme Allan qui donnent le plasma que je reçois à l’hôpital. Je suis très heureuse de le connaître personnellement et je lui serai éternellement reconnaissante, de même qu’à tous les donneurs de plasma. Je sais que sans eux, je serais morte. »
Allan, en train de faire son 800e don
Quand on lui a demandé comment il s’est senti d’être qualifié de « héros », Allan a répondu humblement : « J’en ai eu les larmes aux yeux. Je ne cherchais pas à être un héros. Je voulais simplement redonner à la communauté. Si quelqu’un a besoin de sang, pourquoi ne pas lui en donner? »
Allan et Lorraine, célébrant les 800 dons du généreux donneur
Lorraine et Allan militent tous les deux activement pour le don de produits sanguins. Allan espère donner aussi longtemps qu’il le pourra et encourage les autres à faire de même. « Allez-y, ça ne fait pas mal! Et ça ne prend qu’un peu de votre temps une fois par semaine. »
Quant à Lorraine, elle voue à ses héros une reconnaissance sans bornes : « Il n’y a pas de mots pour exprimer ma gratitude envers les gens qui donnent des produits sanguins, quels qu’ils soient. Même si [comme donneur] vous ne rencontrerez probablement jamais les personnes qui reçoivent vos dons, sachez qu’elles vous en sont profondément reconnaissantes parce que sans vous, elles ne survivraient pas. »
Sauver des vies autrement
Dès son jeune âge, Allan s’est passionné pour la mécanique, une passion qui s’est développée au contact de son oncle préféré. Son intérêt et son aptitude naturelle l’ont amené à devenir compagnon machiniste, puis machiniste, métier qu’il a exercé pendant 30 ans aux départements de génie civil et de génie mécanique de l’Université de l’Alberta.
Allan trouvait le travail à la fois intéressant et stimulant. Lorsqu’il créait de l’équipement pour la recherche doctorale, par exemple, « il m’arrivait souvent de travailler avec des étudiants diplômés à partir de concepts et de dessins qu’ils avaient griffonnés sur un essuie-tout ».
Après une longue carrière enrichissante, Allan contribue toujours de façon importante à sa profession.
Trois mois après son départ à la retraite, le machiniste a été contacté par un ingénieur biomédical qui souhaitait extraire des cellules d’îlots pancréatiques de donneurs pour la recherche sur le diabète. Il a saisi l’occasion d’utiliser ses talents pour aider à sauver des vies autrement.
« J’étais fier qu’un ingénieur biomédical pense à moi pour aider à concevoir les petites machines de laboratoire dont ils avaient besoin pour leur recherche », admet Allan.
Après avoir suivi une formation auprès d’experts du domaine, Allan s’est spécialisé dans les séparateurs de cellules sanguines, puis a créé sa propre micro-entreprise : Argyll Innovations Inc. C’est lui qui fait l’entretien des séparateurs modifiés utilisés au laboratoire clinique d’îlots des Services de santé de l’Alberta.
Depuis 2010, son travail l’amène à se rendre dans différentes villes des États-Unis et d’outre-mer afin de modifier des séparateurs de cellules sanguines pour les besoins de la recherche sur le diabète. Il s’est ainsi rendu en Suisse, en Suède et en Italie, toujours accompagné de Jean.
« Je lui dis toujours : “Si tu veux aller magasiner ou explorer la ville pendant que je travaille, vas-y.” Mais elle me répond chaque fois qu’elle préfère m’aider. Alors on s’agenouille près de la machine, elle d’un côté et moi de l’autre. À deux, ça va beaucoup plus vite. »
Un homme chanceux
Allan voit la vie du bon côté. « Je me sens privilégié, à mon âge, de pouvoir encore donner du plasma, de participer au programme des îlots et d’être capable de fabriquer des pièces d’équipement médical complexes pour la recherche. »
Pour Allan, « la retraite, ce n’est pas seulement profiter de la vie, on doit aussi se tenir occupé ».