Un modèle de changement : prédiction de l’impact d’améliorations à l’échelle du système
En bref ...
Une simulation par ordinateur prévoit que le fait d’étendre la durée de conservation des plaquettes à sept jours, au lieu de cinq, réduira le gaspillage des concentrés plaquettaires d’environ 35 %.
Les mesures de sécurité appliquées aux concentrés plaquettaires ayant évolué au fil des ans, de nombreux fournisseurs de sang ont décidé d’allonger la durée de conservation des plaquettes à sept jours au lieu de cinq. Ayant récemment amélioré son protocole de détection bactérienne pour ces produits, la Société canadienne du sang a décidé de faire de même. Avant de prendre cette décision toutefois, il était essentiel qu’elle comprenne les répercussions d’un tel changement sur le réseau d’approvisionnement en sang dont dépendent les Canadiens. Elle devait donc trouver un moyen d’évaluer de façon précise l’effet de ce changement systémique qui allait toucher des milliers de produits sanguins à l’échelle du pays.
C’est ici qu’entre en jeu la simulation par modélisation. Au lieu de générer de nouvelles données au moyen d’expériences physiques, la Société canadienne du sang peut utiliser la simulation pour étudier de nombreux problèmes complexes auxquels elle est confrontée : recrutement de donneurs et programmation de leurs rendez-vous, détermination des populations à cibler pour le registre de cellules souches, gestion des réserves de produits sanguins, etc. Ainsi, des ingénieurs peuvent se servir de données existantes pour élaborer des modèles de processus et utiliser ensuite ces modèles pour mener des expériences virtuelles selon différents scénarios opérationnels afin de prédire des résultats.
Les réserves de concentrés plaquettaires sont particulièrement difficiles à gérer en raison du court intervalle entre la distribution de ces produits (après les tests de détection bactérienne, incluant la période d’attente) et leur date d’expiration. Des études sur les effets de l’allongement de la durée de conservation des plaquettes ont été menées par d’autres administrations, mais elles portaient surtout sur les changements à l’échelle de l’hôpital ou du fournisseur de sang. Pour évaluer l’impact d’une durée de conservation prolongée des plaquettes sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, l’un de nos chercheurs, un ingénieur industriel, a eu recours à la modélisation.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Les sept centres de production (fournisseurs) et les 306 hôpitaux (clients) du réseau de distribution de plaquettes de la Société canadienne du sang ont été modélisés à l’aide d’un algorithme permettant de simuler une séquence complexe d’événements qui se répétait quotidiennement pendant un certain temps. Cette séquence virtuelle comprenait la collecte, la préparation, la réalisation des tests, la distribution et la transfusion. Pour les centres de production, on générait chaque jour un échantillon d’unités en se basant sur les données de distribution du centre pour ce jour de la semaine. Pour déterminer la distribution aux hôpitaux, le modèle comparait les réserves de concentrés plaquettaires de chaque hôpital à un seuil défini. Si les réserves d’un groupe sanguin quelconque étaient inférieures à ce seuil, l’hôpital commandait des stocks de son fournisseur régional. La demande des patients était alors simulée d’après les données historiques de cet hôpital et la commande était exécutée à partir des réserves simulées de l’hôpital. Lorsqu’une demande quelconque ne pouvait être satisfaite, cela était considéré comme une pénurie. Au bout de chaque jour de simulation, l’âge de toutes les unités de plaquettes en stock dans les centres de production et les hôpitaux était augmenté d’une journée, et toutes les unités auxquelles il ne restait aucun jour de conservation étaient retirées du système.
Pour valider le modèle, le chercheur y a versé des données dérivées du réseau de distribution de plaquettes de la Société canadienne du sang de 2015-2016. Il a ensuite effectué dix répétitions de 364 jours (pour une représentation égale de chaque jour de la semaine), puis il a comparé les résultats de la simulation aux données opérationnelles de cette période.
Par la suite, le chercheur a modifié le modèle validé pour déterminer l’impact de la nouvelle durée de conservation et du protocole amélioré de détection des bactéries, qui allongent le délai de distribution des plaquettes aux fins de transfusion. De façon prudente, on a estimé à deux jours le délai minimal entre la collecte et la distribution d’une unité au fournisseur, compte tenu de la mise en œuvre du nouveau protocole de détection bactérienne. Le modèle a également été utilisé pour évaluer les politiques de gestion des réserves dans les hôpitaux et chez les fournisseurs. Les niveaux cibles de réserves pour les hôpitaux ont été établis à 1,1 (comme dans le modèle d’origine) ou 2,1 jours de demande; ceux des fournisseurs ont été fixés à 1,2 (comme dans le modèle d’origine) ou 3.0 jours de demande.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- Le nombre d’unités recueillies, distribuées, transfusées et périmées dans le cadre de la simulation correspondait étroitement aux données enregistrées de la période de référence, ce qui soutient l’exactitude du modèle.
- Après la modification des paramètres visant à tenir compte du nouveau protocole de détection bactérienne, le nombre moyen d’unités périmées par jour a diminué de 18,1 %, pour une durée de conservation de six jours, de 35,7 %, pour sept jours, et de 45,6 % pour huit jours de conservation, et ce, sans hausse des pénuries. Les résultats tendent à indiquer une relation linéaire, les pertes diminuant d’environ 16 % pour chaque jour additionnel de conservation.
- Indépendamment de la durée de conservation choisie, l’augmentation de la quantité de réserves conservées à l’hôpital a entraîné une hausse du nombre d’unités périmées. Les taux de péremption les plus bas ont été observés lorsque le niveau de réserves était à 1,1 jour de demande pour les hôpitaux et à 2 jours pour les fournisseurs.
- La diminution des pertes découlant de l’allongement de la durée de conservation variait selon le lieu. Les pertes ont diminué plus rapidement dans les hôpitaux que chez les fournisseurs. De plus, les petits fournisseurs bénéficiaient moins de l’allongement de la période de conservation, ayant des taux de péremption supérieurs à ceux des gros fournisseurs. Il y a réduction des pertes, peu importe le groupe sanguin.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
La simulation par ordinateur prédit que chaque jour de conservation au-delà de cinq jours réduira considérablement les pertes de concentrés plaquettaires, ce qui confirme la décision récente de la Société canadienne du sang d’allonger la période de conservation des plaquettes à sept jours. Selon cette étude, si les futures données sur l’innocuité et l’efficacité démontraient qu’on peut allonger davantage la durée de conservation des plaquettes, les pertes pourraient encore être réduites. Par ailleurs, la réduction des pertes de concentrés plaquettaires découlant du changement de la durée de conservation pourrait annuler une partie des coûts associés au nouveau protocole de détection des bactéries. Globalement, ce changement permettra à la Société canadienne du sang d’améliorer l’innocuité de ses plaquettes et l’efficacité de ses opérations.
L’information détaillée produite par les simulations peut aider la Société canadienne du sang à gérer le recrutement des donneurs de manière à maintenir un approvisionnement constant en plaquettes tout en justifiant le délai supplémentaire pour les tests de détection. Les résultats de l’étude peuvent également orienter les politiques des hôpitaux sur la gestion des réserves. Les niveaux de réserves de 1,1 jour de demande pour les hôpitaux et de 2 jours pour les fournisseurs étaient les valeurs optimales pour réduire les pertes sans accroître les pénuries. Les hôpitaux qui gardent habituellement des réserves importantes de concentrés plaquettaires pourraient diminuer leurs pertes en réduisant leurs stocks et en passant des commandes plus souvent.
Les simulations par ordinateur permettent à la Société canadienne du sang et aux fournisseurs de soins de santé de prédire les résultats de changements systémiques qui ne pourraient pas être étudiés par d’autres moyens. Bien que ces modèles n’offrent qu’une approximation et non une prédiction exacte de l’avenir, ils sont importants pour aider l’organisation à prendre des décisions fondées sur des données probantes.
À propos de l’équipe de recherche
L’auteur, John Blake, est professeur agrégé au Département de génie industriel de l’Université Dalhousie et ingénieur de la recherche à la Société canadienne du sang.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] J.T. Blake. Determining the inventory impact of extended-shelf-life platelets with a network simulation model, Transfusion 2017; 57:3001-3008.
Remerciements : Ce projet de recherche a reçu une aide financière de la Société canadienne du sang, elle-même financée par le gouvernement fédéral (Santé Canada) et les ministères de la Santé provinciaux et territoriaux. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement celles des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux du Canada.
Mots-clés : plaquettes, durée de conservation, modélisation, réserves, efficacité, pertes, péremption
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec John Blake par courriel à l’adresse john.blake@blood.ca.
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