Rôle du groupe sanguin dans le déclenchement d’une hémolyse après l’administration d’immunoglobulines
En bref ...
Les patients du groupe AB sont plus susceptibles de déclencher une hémolyse aiguë après l’administration de doses élevées d’immunoglobulines. Ils devraient faire l’objet d’une surveillance étroite après chaque traitement.
Les immunoglobulines sont produites à partir de plasma recueilli auprès de donneurs. Elles contiennent des anticorps provenant de milliers de donneurs, dont une minorité serait impliquée dans le déclenchement de l’hémolyse. Ces anticorps reconnaissent et se lient à des marqueurs spécifiques, appelés antigènes, que l’on retrouve à la surface des globules rouges du patient, ce qui a pour effet de marquer les globules rouges pour qu’ils soient détruits par le propre système immunitaire du patient.
Les antigènes déterminent également le groupe sanguin. Théoriquement, les personnes du groupe O ne peuvent pas développer d’hémolyse après l’administration d’immunoglobulines, alors que les personnes des groupes A, B et AB le peuvent. Cela confirmerait l’idée que les antigènes érythrocytaires jouent un rôle dans la prédisposition d’un individu à développer une hémolyse à la suite de l’administration d’immunoglobulines. Toutefois, étant donné que tous les patients des groupes A, B et AB ne développent pas d’hémolyse après un traitement aux immunoglobulines, d’autres facteurs doivent être pris en compte. C’est ce que les chercheurs ont décidé d’étudier ici afin de pouvoir identifier les patients qui présentent une prédisposition à l’hémolyse.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Les chercheurs ont identifié trois facteurs de risque génétiques plausibles qui pourraient favoriser le déclenchement d’une hémolyse après l’administration d’immunoglobulines. Ils ont ensuite réalisé des analyses génétiques sur 42 patients appartenant aux groupes A, B et AB à qui on avait administré des doses élevées d’immunoglobulines.
- Génétique des groupes sanguins. Comme la couleur des yeux, le groupe sanguin est une caractéristique génétique. Les individus du groupe AB possèdent, à la surface de leurs globules rouges, les antigènes A et B. On dit qu’ils sont génétiquement AB, car ils ont hérité d’un gène A et d’un gène B de leurs parents. Les individus du groupe O n’ont hérité d’aucun gène A ou B, et ne possèdent aucun antigène A ou B à la surface de leurs globules rouges. Les individus du groupe A peuvent être génétiquement AA (ils ont deux copies du gène A) ou AO (ils n’ont qu’une seule copie du gène A), selon le gène hérité de chacun de leurs parents. Il en est de même pour les individus du groupe B, qui peuvent être BB ou BO. Le groupe A possède également des sous-types; environ 80 % de la population possèdent des antigènes du sous-type A1 et 20 %, des antigènes du sous-type A2.
- Sécrétion des antigènes. Présents à la surface des globules rouges, les antigènes A et B peuvent également être sécrétés sous forme soluble dans la circulation sanguine. Les antigènes A et B solubles protègent les globules rouges contre l’hémolyse; or certains individus n’en possèdent pas. Le caractère « sécréteur » ou non d’un individu dépend de la présence ou non de gènes codant pour une protéine de sécrétion fonctionnelle
- Récepteur FcƔ. Cette protéine du système immunitaire peut être amenée à participer à la destruction des globules rouges. Les chercheurs ont compté le nombre de copies du gène codant pour le récepteur FcƔ que possédait chaque patient. Ils ont également recherché d’éventuelles mutations sur ce récepteur qui pourraient favoriser une prédisposition à l’hémolyse.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- L’hémolyse s’est avérée plus fréquente chez les patients du groupe AB possédant l’antigène A1 (type A1B). La totalité de ces six patients a développé une hémolyse après l’administration d’immunoglobulines. L’allèle O, associé à la présence de l’antigène AO ou BO, semble fournir une certaine protection contre l’hémolyse.
- Les antigènes A1 et A2 (groupe A) semblent jouer un rôle dans le risque de déclenchement de l’hémolyse : sur les quinze patients possédant le gène A et ayant développé une hémolyse, aucun ne possédait l’antigène A2.
- Il ne semble y avoir aucune corrélation entre le statut de secréteur et l’hémolyse. L’hémolyse est survenue chez 55 % des secréteurs et 36 % des non-secréteurs. Les chercheurs n’ont noté aucune différence entre les secréteurs et les non-secréteurs dans la sévérité de l’hémolyse.
- Aucun lien n’a pu être établi entre l’hémolyse et le nombre de copies du récepteur FcƔ ou les mutations identifiées.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Il existe un lien entre les caractéristiques génétiques des groupes sanguins et la prédisposition des individus à faire une hémolyse après l’administration d’immunoglobulines. La présence de l’allèle O et de l’antigène A2 semble avoir un effet protecteur contre l’hémolyse. Cela peut être dû à la densité antigénique, c’est-à-dire à la quantité d’antigène présente sur les globules rouges, qui on le sait, influe sur l’étendue de l’hémolyse. La densité antigénique est plus faible chez les individus AO et BO que chez les individus AA et BB. Elle est également plus faible chez les individus A2 que chez les individus A1.
Bien que ces résultats soient préliminaires et limités par le nombre de personnes ayant participé à l’étude, ils montrent que les personnes A1B ont plus de risque de développer une hémolyse après l’administration d’immunoglobulines. On pourrait donc imaginer que pour minimiser les risques d’hémolyse, il suffise de ne pas administrer d’immunoglobulines aux personnes A1B. Or, pour pouvoir déterminer si un patient est A1B (ou AA, AO, BB, BO), il faudrait pratiquer des analyses génétiques, ce qui ne fait pas partie des analyses réalisées systématiquement. En revanche, la détermination du groupe AB faisant partie des analyses de routine et le sous-type A1B étant le sous-type le plus commun, il serait plus facile de déterminer si un patient qui doit recevoir des immunoglobulines est du groupe AB afin de savoir s’il présente un risque élevé d’hémolyse.
Les immunoglobulines constituent un traitement efficace et, pour beaucoup de maladies, le seul traitement possible. Compte tenu des résultats de l’étude, les patients du groupe AB devraient faire l’objet d’une surveillance afin que l’on puisse détecter les signes d’une hémolyse à la suite de l’administration d’une dose élevée d’immunoglobulines et, le cas échéant, modifier le traitement pour empêcher l’aggravation de l’hémolyse.
À propos de l’équipe de recherche
Cette étude a été dirigée par Donald R. Branch, chercheur à la Société canadienne du sang et professeur dans les départements de médecine, et de médecine de laboratoire et de pathobiologie de l’Université de Toronto. Ont également collaboré à l’étude des membres du Réseau de santé universitaire, du Sunnybrook Health Sciences Centre, des hôpitaux St Michael’s et Mount Sinaï, et de l’Hospital for Sick Children (tous situés à Toronto), de l’Institut universitaire de cardiologie et pneumologie de Québec (Québec), ainsi que des chercheurs basés à Lund (Suisse) et à Amsterdam (Pays-Bas).
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Branch DR, Hellberg A, Bruggeman CW, et al. ABO zygosity, but not secretor or Fc receptor status, is a significant risk factor for IVIg-associated hemolysis. Blood 2018;131: 830-35.
Remerciements : Cette étude a bénéficié du financement partiel de la Société canadienne du sang, dans le cadre de son Programme de subventions de recherche intramuros, elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les idées exprimées dans le présent document ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada.
Mots-clés : immunoglobulines, IgIV, hémolyse, globules rouges, groupes sanguins
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Donald Branch, par courriel, à don.branch@utoronto.ca.