Résistance aux désinfectants des biofilms bactériens
En bref ...
Les bactéries cutanées agglutinées en biofilms – regroupements denses de bactéries attachées à une surface –
peuvent résister aux désinfectants. Cela explique en partie pourquoi la désinfection de la peau n'est pas toujours
efficace et pourquoi la contamination bactérienne des unités de sang demeure un risque.
Toutefois, le risque est plus grand dans le cas des produits plaquettaires, car compte tenu de leur entreposage à température ambiante, les plaquettes offrent un milieu particulièrement adapté à la croissance des bactéries. Sans danger sur la peau des personnes en bonne santé, les bactéries transfusées, en quantité suffisante, dans le sang des personnes malades peuvent causer des infections graves, voire mortelles.
La protection contre la contamination des unités de sang passe d'abord par une bonne désinfection de la peau du donneur avant le don afin de limiter les risques. Malgré ces précautions, on constate qu’une contamination a quand même lieu et que, par conséquent, l’efficacité de la désinfection de la peau est limitée. Plusieurs découvertes récentes permettent d'en expliquer la raison. La plupart des bactéries qui composent la microflore cutanée sont libres, mais environ 20 % d'entre elles se regroupent sur la peau saine en communautés, appelées biofilms.
Les biofilms sont en fait des regroupements denses de bactéries qui adhèrent à une surface. Les bactéries sécrètent une matrice qui les entoure et les protège, ce qui les aide à survivre et à résister à la désinfection. Les chercheurs ont découvert récemment que les bactéries que l’on retrouve couramment à la surface de la peau forment des biofilms dans les produits plaquettaires. Ils ont examiné l'efficacité des désinfectants couramment utilisés contre ces biofilms bactériens et les bactéries libres.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
La principale méthode utilisée par le personnel de la Société canadienne du sang pour désinfecter le point d'insertion de l'aiguille dans le bras d’un donneur combine deux désinfectants : la chlorhexidine et l'alcool isopropylique. Ce sont deux désinfectants généraux qui inactivent de nombreux types de bactéries.
- Dans un premier temps, les chercheurs ont mesuré l'efficacité de la chlorhexidine seule, de l'alcool isopropylique seul, puis des deux désinfectants combinés contre deux espèces de bactéries présentes sur la peau sous forme de bactéries libres et de biofilms : Staphylococcus epidermis et Staphylococcus capitis.
- Ensuite, les chercheurs ont examiné l'efficacité des désinfectants contre les biofilms contenant ces deux espèces, car ce cas de figure reflète mieux la façon dont les bactéries vivent sur la peau, c'est-à- dire généralement sous forme de biofilms composés de différents types de bactéries.
- Pour finir, les chercheurs ont évalué la mesure dans laquelle ces biofilms résistants aux désinfectants survivent et croissent dans les produits plaquettaires.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- Les biofilms bactériens sont beaucoup plus résistants à la désinfection que les bactéries libres. Dans le cas des bactéries S. epidermidis et S. capitis, la concentration minimale de chlorhexidine nécessaire pour inactiver les bactéries agglutinées en biofilms était au moins 64 fois supérieure à la concentration nécessaire pour inactiver les bactéries libres.
- Des différences dans la réaction des bactéries aux désinfectants ont été notées. Par exemple, S. epidermidis était plus sensible à l'alcool isopropylique que S. capitis.
- La présence des deux espèces de bactéries dans un même biofilm a modifié leur sensibilité respective aux désinfectants : S. epidermidis était plus sensible à la chlorhexidine, tandis que S. capitis était plus sensible à tous les désinfectants.
- Les bactéries agglutinées en biofilms et ayant résisté à la désinfection ont récupéré rapidement, et leur nombre a augmenté dans les produits plaquettaires. Toutefois, S. capitis n'a pas récupéré aussi bien ni augmenté autant que S. epidermidis. Ceci pourrait expliquer pourquoi S. epidermidis est le contaminant que l’on retrouve le plus fréquemment dans les plaquettes
- Dans les produits plaquettaires, les biofilms bactériens mixtes avaient une croissance réduite et proliféraient moins bien que les biofilms contenant S. epidermidis ou S. capitis seules.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Les résultats montrent que les bactéries cutanées ont une plus grande résistance aux désinfectants lorsqu’elles sont agglutinées en biofilms que lorsqu’elles sont à l’état libre. Les bactéries qui résistent à la désinfection survivent et croissent dans les produits plaquettaires. Lorsqu’elle survit à la désinfection, S. epidermidis, l'espèce la plus souvent retrouvée dans les unités contaminées, prolifère particulièrement bien.
Ces résultats expliquent, en partie du moins, la raison pour laquelle la contamination bactérienne des produits plaquettaires demeure un problème. Bien que la manière dont les bactéries regroupées en biofilms résistent à la désinfection n’ait pas été étudiée, il est possible que la matrice qu'elles fabriquent agisse comme une barrière physique ou chimique contre la désinfection.
La désinfection de la peau des donneurs de sang est une étape importante pour réduire le risque de contamination du sang par la microflore cutanée. Les désinfectants testés dans cette étude sont ceux qu'utilisent la Société canadienne du sang et de nombreux autres organismes internationaux de collecte de sang. Ces résultats montrent qu’une utilisation combinée de ces deux désinfectants, comme le fait la Société canadienne du sang, est le meilleur moyen de tuer les bactéries présentes dans les biofilms.
Toutefois, la méthode n'est pas infaillible. Des recherches plus poussées sont nécessaires pour accroître l'efficacité des désinfectants ou en trouver de plus efficaces. Par ailleurs, les désinfectants étant appliqués sur la peau, l’une des façons d’augmenter leur efficacité consisterait à améliorer leur pénétration dans l’épiderme, puisque les bactéries vivent également dans les couches plus profondes de la peau. Les chercheurs espèrent explorer cette avenue à l'avenir. Les études futures sur les bactéries et les désinfectants devront porter sur les biofilms mixtes, puisque cette organisation correspond mieux à la façon dont les bactéries vivent dans la peau.
À propos de l’équipe de recherche
Mariam Taha, étudiante au doctorat, travaille dans le laboratoire de Sandra Ramirez-Arcos, à la Société canadienne du sang, à Ottawa, en Ontario. Sandra Ramirez Arcos est chercheuse en développement au sein du groupe de développement des produits et procédés du Centre d’innovation de la Société canadienne du sang, à Ottawa, en Ontario. QiLong Yi et Valerie Greco-Stewart travaillent à la Société canadienne du sang, à Ottawa, en Ontario. Carey Landry, une ancienne employée de la Société canadienne du sang, travaille maintenant à L'Hôpital d'Ottawa. La recherche a été menée en collaboration avec Miloslav Kalab, un chercheur honoraire d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Ottawa, en Ontario, Ann Karen Brassinga, de l'Université du Manitoba, à Winnipeg, au Manitoba, et le Dr Costi D. Sifri, de l'Université de Virginie, à Charlottesville, en Virginie.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Taha M, Kalab M, Yi Q-L, Landry C, Greco-Stewart V, Brassinga AK, Sifri CD, Ramirez-Arcos S. Biofilm-forming skin microflora bacteria are resistant to the bactericidal action of disinfectants used during blood donation. Transfusion, 2014. DOI : 10.111/trf.12728.
Remerciements : Mariam Taha a reçu une bourse d'études supérieures de la Société canadienne du sang et de Santé Canada. La réalisation de cette étude a été rendue possible grâce à une subvention de Santé Canada et de la Société canadienne du sang (financée par les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé).
Mots-clés : bactéries, microflore, biofilm, désinfectant, désinfection, don, réaction transfusionnelle, produits plaquettaires, plaquettes, contamination
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Sandra Ramirez-Arcos, à sandra.ramirez@blood.ca.