L’union fait la force : des mélanges d’anticorps monoclonaux pour une meilleure efficacité thérapeutique
En bref ...
Cette étude, récemment publiée dans une importante revue d’hématologie, montre qu’un mélange de deux anticorps
monoclonaux est plus efficace dans la prévention de la réponse immunitaire qu’un seul anticorps.
Il peut également y avoir une réaction immunitaire contre des globules rouges étrangers lors d’une grossesse, lorsque les globules rouges du fœtus pénètrent dans le sang de la mère et qu’il y a une incompatibilité sanguine. Par exemple, si la mère est de rhésus négatif et que le fœtus est de rhésus positif, une grave réaction, appelée maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né, peut se produire lors de la grossesse suivante : les globules rouges du fœtus sont détruits par les anticorps de la mère. Cette maladie est mortelle, mais peut être évitée grâce à l’administration de l’immunoglobuline Rho(D) à la mère pendant la grossesse.
L’immunoglobuline Rho(D), encore appelée anti-D, est un anticorps polyclonal qui cible l’antigène Rh D, un élément important du groupage sanguin. L’injection de cette immunoglobuline aux mères de rhésus négatif empêche le système immunitaire maternel de reconnaître l’antigène Rh D présents sur les globules rouges fœtaux. Depuis son introduction dans les années 60, cette pratique a permis de sauver des millions de bébés dans le monde. Or, malgré ce succès, l’immunoglobuline Rho(D) ne représente pas le traitement idéal : fabriqué à partir de dons de plasma, ce produit est sujet aux pénuries et même s’il est sûr, il est, en théorie, associé à un risque de transmission d’agents pathogènes. Les chercheurs essaient donc de trouver d’autres moyens de prévenir cette réaction, aucun des essais cliniques n’ayant donné de résultats satisfaisants pour l’instant.
Les anticorps polyclonaux sont un mélange d’anticorps produits par le système immunitaire lors de l’exposition à un antigène étranger. Différents types de cellules immunitaires produisent des anticorps, qui reconnaissent les différentes parties – ou épitopes – d’un antigène. Pour obtenir des anticorps polyclonaux Rho(D), on peut isoler ceux présents dans le plasma de donneurs porteurs, ou encore isoler des cellules immunitaires et les cultiver en laboratoire pour obtenir des anticorps identiques en grand nombre. On appelle les anticorps issus de ces « clones uniques », des anticorps monoclonaux.
Comparés aux anticorps polyclonaux, les anticorps monoclonaux sont très spécifiques, ce qui les rend moins susceptibles de se lier à d’autres antigènes que ceux qu’ils ont pour cible, mais également moins sensibles : ils ont plus de difficultés à reconnaître l’antigène visé lorsque celui-ci est présent en petite quantité. Cela s’expliquerait par le fait que les anticorps monoclonaux ciblent un seul épitope de l’antigène, tandis que les anticorps polyclonaux en ciblent plusieurs. Il se pourrait donc que ce soit ces propriétés qui empêchent les anticorps monoclonaux de reproduire correctement les résultats cliniques des anticorps polyclonaux. Des chercheurs de la Société canadienne du sang ont récemment mis cette théorie à l’épreuve en comparant l’activité immunosuppressive des anticorps polyclonaux, des anticorps monoclonaux et de plusieurs combinaisons d’anticorps monoclonaux.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
L’équipe de recherche d’Alan Lazarus a isolé des globules rouges d’un modèle de souris transgénique qui contiennent une protéine d’essai. Elle a ensuite transfusé ces globules rouges à des souris sauvages. La protéine d’essai contenait un antigène étranger, du lysozyme d’œuf de poule, afin de provoquer une réaction immunitaire. Pour déterminer la capacité des anticorps polyclonaux et monoclonaux à désamorcer cette réaction, les chercheurs ont transfusé aux souris sauvages des globules rouges contenant du lysozyme d’œuf mélangés à divers anticorps visant ce même lysozyme. Ils ont ensuite recueilli le sang de ces souris pendant trois semaines et observé la réaction immunitaire en mesurant le nombre d’anticorps spécifiques au lysozyme d’œuf.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- La capacité immunosuppressive des anticorps polyclonaux spécifiques au lysozyme d’œuf était supérieure à celle des quatre autres anticorps monoclonaux mis à l’essai.
- Le mélange de deux anticorps monoclonaux ciblant différents épitopes de l’antigène s’est révélé aussi efficace que l’anticorps polyclonal.
- En revanche, le mélange d’anticorps monoclonaux ciblant le même épitope s’est révélé moins efficace.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Les résultats de cette étude permettent de mieux comprendre pourquoi le remplacement de l’immunoglobuline polyclonale Rho(D) par un anticorps monoclonal n’est pas aussi efficace : là où l’anticorps polyclonal a complètement permis d’éviter la réaction immunitaire, les anticorps monoclonaux n’ont permis d’en éviter qu’une partie. Mais surtout, grâce à l’équipe de recherche d’Alan Lazarus, on sait maintenant que l’efficacité des anticorps monoclonaux peut être considérablement améliorée en les combinant : le mélange de deux anticorps monoclonaux a permis d’éviter la réaction immunitaire, tout comme l’anticorps polyclonal. À noter, cependant, que ce gain d’efficacité n’a été possible que grâce à la combinaison de deux anticorps monoclonaux ciblant deux épitopes différents de l’antigène, la combinaison de deux anticorps ciblant le même épitope ne s’étant pas montrée plus concluante que l’anticorps utilisé seul.
Les modèles de souris permettent aux chercheurs d’étudier les processus complexes de l’organisme, tels qu’ici, la réponse immunitaire. Or, il existe beaucoup de différences physiologiques entre la souris et l’être humain. Aussi, avant de pouvoir appliquer les résultats de cette étude à la médecine, il faut les confirmer dans le sang humain. L’importance du ciblage de différents épitopes doit également être confirmée par l’étude d’autres combinaisons d’anticorps monoclonaux. Enfin, il est possible que les antigènes naturels ne se comportent pas de la même manière que l’antigène utilisé. Des recherches additionnelles doivent donc être menées afin d’étendre ces résultats à des antigènes pertinents sur le plan clinique, comme l’antigène Rh D ciblé par l’immunoglobuline Rho(D).
Compte tenu des résultats obtenus, la recherche clinique devrait privilégier l’évaluation de diverses combinaisons d’anticorps monoclonaux comme solutions de remplacement à l’immunoglobuline Rho(D). Un nouveau médicament à base de mélanges d’anticorps monoclonaux permettrait, en effet, d’éliminer le risque potentiel de transmission d’agents pathogènes, de mieux prévoir les effets thérapeutiques et de réduire les risques de pénurie.
À propos de l’équipe de recherche
Cette étude a été menée dans le laboratoire d’Alan Lazarus. Chercheur à la Société canadienne du sang et professeur de médecine à l’Université de Toronto, Alan Lazarus est également membre du Toronto Platelet Immunology Group, au Centre de recherche en sciences biomédicales Keenan de l’Hôpital St.-Michael’s, à Toronto. Lidice Bernardo, titulaire d’une bourse postdoctorale au Centre de recherche Keenan, a dirigé l’étude. Plusieurs essais ont également été réalisés par Alaa Amash, titulaire d’une bourse postdoctorale au Lazarus Research Group, et Danielle Marjoram, étudiante de troisième cycle.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Bernardo L, Amash A, Marjoram D, Lazarus AH. Antibody-mediated immune suppression is improved when blends of anti-RBC monoclonal antibodies are used in mice. Blood. 2016;128(8):1076-80.
Remerciements : Cette étude a bénéficié du soutien financier de Santé Canada, dans le cadre du fonds du partenariat entre les Instituts de recherche en santé du Canada et la Société canadienne du sang. Mme Bernardo a bénéficié de bourses postdoctorales de la Société canadienne du sang, elle-même financée par le gouvernement fédéral (Santé Canada) et les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé. Les idées exprimées dans le présent document ne reflètent pas nécessairement les idées du gouvernement du Canada. M. James Zimring du Bloodworks Northwest Research Institute, à Seattle, aux États-Unis, a fourni la souris transgénique, les anticorps monoclonaux spécifiques au lysozyme d’œuf ainsi que des conseils d’ordre scientifique.
Mots-clés : anti-D, immunoglobuline Rho(D), antigène Rh D, monoclonal, polyclonal, anticorps, globules rouges, réponse immunitaire
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Alan Lazarus, par courriel, à lazarusa@smh.ca.
Le bulletin concentré de recherche est un outil de mobilisation des connaissances élaboré par le Centre d’innovation de la Société canadienne du sang.