Important rôle de la GPIbα, une protéine plaquettaire, dans la régulation de la production hépatique de thrombopoïétine
En bref ...
Grâce à l’action de la GPIbα, les plaquettes contribuent à la production régulée de la thrombopoïétine par le foie.
Cela pourrait avoir d’importantes répercussions sur le traitement de certains troubles hémorragiques,
comme la maladie de Bernard et Soulier et les thrombopénies immunitaires.
Les plaquettes n’ont pas de noyau et ne survivent qu’une dizaine de jours. Elles sont produites par les mégacaryocytes, de grosses cellules de la moelle osseuse, qui les libèrent en continu pour qu’il y en ait toujours assez dans le sang. Un adulte produit en moyenne 00 milliards de plaquettes par jour!
La production de plaquettes par les mégacaryocytes est régulée par une hormone que l’on appelle la thrombopoïétine, elle-même produite en grande partie par le foie. La thrombopoïétine circule dans le sang et se lie au récepteur Mpl, présent à la surface des plaquettes. Une fois la liaison établie, la thrombopoïétine est absorbée, puis éliminée par les plaquettes.
On pense que c’est de cette façon que l’action de la thrombopoïétine sur la production de plaquettes en réponse à la quantité de plaquettes présentes dans le sang est régulée : quand il y a beaucoup de plaquettes dans le sang, il y a moins de thrombopoïétine pour stimuler la production de plaquettes par les mégacaryocytes. À l’inverse, quand il y a moins de plaquettes, la quantité de thrombopoïétine absorbée et détruite est plus faible, ce qui entraîne les mégacaryocytes à produire plus de plaquettes. Ce rapport inversé entre le taux de thrombopoïétine dans le sang et la quantité de mégacaryocytes/plaquettes constituerait l’un des modes majeurs de régulation de la production de plaquettes.
Les chercheurs ont donc souhaité étudier la GPIbα, une protéine présente à la surface des plaquettes qui fait partie d’un complexe de protéines jouant un rôle important dans l’adhésion plaquettaire et la formation des caillots. Les personnes atteintes de la maladie de Bernard et Soulier ne produisent pas de GPIbα.
Cette maladie se caractérise par une faible numération plaquettaire et la présence de plaquettes anormalement larges. Ayant observé, par hasard, des taux de thrombopoïétine deux à trois fois inférieurs chez des souris dépourvues de GPIbα que chez les souris normales, les chercheurs ont émis l’hypothèse que la GPIbα pouvait avoir une influence sur la quantité de thrombopoïétine dans le sang.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
L’objectif des chercheurs étaient de mieux comprendre le processus de régulation de la quantité de thrombopoïétine et de plaquettes dans le sang. Pour ce faire, ils ont utilisé des modèles de souris dépourvues de GPIbα – par répression du gène GP1BA – et des échantillons de sang de personnes ne produisant pas de GPIbα. Pour étudier la thrombopoïétine chez les souris, ils ont mesuré les taux de thrombopoïétine dans le foie et dans le sang, ainsi que l’élimination de la thrombopoïétine dans le sang par les plaquettes. Ils ont également mesuré le taux d’ARN de thrombopoïétine dans le foie afin de connaître la quantité de thrombopoïétine fabriquée par le foie. Ils ont transfusé aux souris dépourvues de GPIbα des plaquettes murines normales pour savoir si cela améliorerait la production de la thrombopoïétine par le foie. Les protéines présentes à la surface des plaquettes sont recouvertes d’acide sialique, un sucre naturel, qui empêche la destruction des plaquettes. Ces résidus glucidiques pouvant jouer un important rôle dans la fonction plaquettaire, les chercheurs ont voulu savoir si leur élimination aurait un impact sur la production de la thrombopoïétine. Ils ont réalisé plusieurs expériences pour voir si les plaquettes dépourvues de GPIbα se liaient bien aux cellules hépatiques. Enfin, ils ont étudié l’effet des anticorps sur la GPIbα pour mieux comprendre comment les patients atteints de la thrombopénie immune, une maladie du sang auto-immune, peuvent développer des anticorps contre la GPIbα, et pour cerner les répercussions possibles sur le plan clinique.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- Chez les souris comme chez les humains, l’absence de la GPIbα diminue la quantité de thrombopoïétine dans le sang.
- Malgré la taille importante des plaquettes chez les souris dépourvues de GPIbα, aucune différence n’a été constatée concernant la quantité de récepteurs Mpl ou la capacité des plaquettes à éliminer la thrombopoïétine. Par conséquent, les faibles taux de thrombopoïétine constatés chez les souris dépourvues de GPIbα ne sont pas dus à une augmentation de l’élimination de la thrombopoïétine par les plaquettes.
- Les faibles taux de thrombopoïétine relevés chez les souris dépourvues de GPIbα sont dus à un défaut de production de la thrombopoïétine par le foie. Le foie de ces souris contenait environ la moitié de la quantité d’ARN de thrombopoïétine retrouvée chez les souris normales, ce qui signifie qu’il produit moins de thrombopoïétine. La transfusion de plaquettes normales aux souris dépourvues de GPIbα pourrait résoudre ce problème, car cela augmenterait la quantité de thrombopoïétine dans le sang, ainsi que la quantité d’ARN de thrombopoïétine dans le foie.
- Les plaquettes dépourvues de GPIbα ayant de la difficulté à se lier aux cellules hépatiques, elles ne stimulent pas la production de la thrombopoïétine par le foie. L’élimination des résidus glucidiques des plaquettes des souris dépourvues de GPIbα n’a pas permis d’améliorer la production de thrombopoïétine. Le domaine extracellulaire de la GPIbα, c’est-à-dire la portion qui s’étend au-delà de la surface de la plaquette, est nécessaire – et suffisante – à la production de la thrombopoïétine par le foie.
- Le traitement des plaquettes normales par des anticorps anti-GPIbα bloque la production de la thrombopoïétine par le foie.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
La régulation de la production de la thrombopoïétine est un sujet qui a été largement débattu. L’étude présentée ici a permis d’identifier un mode de régulation, jusqu’à présent inconnu, de la quantité de thrombopoïétine dans le sang. Elle a démontré que la GPIbα est le lien essentiel requis entre les plaquettes et les cellules hépatiques pour que le foie soit stimulé et produise de la thrombopoïétine. En effet, en l’absence de GPIbα, on constate une diminution de la production de thrombopoïétine. Cette diminution se fait uniquement au niveau du foie, et non dans les autres organes produisant de la thrombopoïétine. Ce qui signifie que, grâce à l’action de la GPIbα, les plaquettes contribuent de manière considérable à la production régulée de la thrombopoïétine dans le foie, ce qui constitue une avancée majeure dans la compréhension de la production de la thrombopoïétine induite par les plaquettes.
Ces résultats pourraient avoir des répercussions sur le traitement de certaines maladies. En effet, les personnes qui font des réactions immunitaires contre les plaquettes produisent des anticorps antiplaquettaires qui entraînent la destruction des plaquettes, une faible numération plaquettaire et des hémorragies pouvant nécessiter la transfusion de plaquettes. Les anticorps antiplaquettaires ciblant la GPIbα chez certains patients, il se pourrait que l’action des anticorps anti-GPIbα reproduise le déficit en GPIbα, qui a pour effet de bloquer la production de la thrombopoïétine par le foie. Cela expliquerait alors les faibles quantités de thrombopoïétine observées chez certains patients et permettrait de décider d’un traitement approprié une fois que les implications sur le plan clinique auront été mieux étudiées.
À propos de l’équipe de recherche
Cette étude a été dirigée par le Dr Heyu Ni, chercheur à la Société canadienne du sang et professeur dans les départements de médecine, de médecine de laboratoire et de pathobiologie, et de physiologie de l’Université de Toronto. Le Dr Ni est également directeur de la plateforme d’hématologie, d’oncologie et des maladies immunologiques de l’hôpital St. Michael’s. Ont également participé à cette étude des membres du laboratoire du Dr Ni (Miao Xu, June Li, Miguel Antonio Dias Neves, Guangheng Zhu, Naadiya Carrim, Ruoying Yu), des chercheurs de la Société canadienne du sang (Donald R. Branch et Alan Lazarus) et d’autres chercheurs basés à Toronto (Sahil Gupta, John Marshall, Ori Rotstein, John Freedman), en Chine (Jun Peng, Ming Hou), au Japon (Shinji Kunishima) et aux États-Unis (Jerry Ware, Zaverio M. Ruggeri).
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Xu M, Li J, Neves MAD, et al. GPIbα is required for platelet-mediated hepatic thrombopoietin generation. Blood 2018; DOI 10.1182/blood-2017-12-820779.
Remerciements : Cette étude a bénéficié du soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada, de la Société canadienne du sang et de la Fondation canadienne pour l'innovation. Miao Xu et June Li sont titulaires d’une bourse d’études de troisième cycle, et Naadiya Carrim est titulaire d’une bourse postdoctorale de la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les idées exprimées dans le présent document ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada.
Mots-clés : plaquettes, mégacaryocytes, GPIbα, thrombopoïétine, foie, maladie de Bernard et Soulier, thrombopénie
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec le Dr Heyu Ni, par courriel, à nih@smh.ca.