Exploration de données : creusons pour mieux comprendre les résultats des thérapies transfusionnelles
En bref ...
Première étude à suggérer un lien entre le mode de production des concentrés de globules rouges et les effets des transfusions sur les patients.
De plus, selon de récentes études cliniques, il n’y a aucune preuve que les composants plus âgés donnent de moins bons résultats que les composants plus frais. D’autres facteurs pouvant influencer la qualité des produits transfusés attirent maintenant l’attention. L’un d’entre eux concerne le mode de séparation des composants sanguins dans les unités de sang total. À la Société canadienne du sang, nous utilisons deux méthodes :
- Méthode 1 : la filtration des globules rouges, encore appelée méthode d'extraction de la couche leucoplaquettaire, est utilisée pour l’extraction des globules rouges, du plasma et des plaquettes.
- Méthode 2 : la filtration du sang total est utilisée lorsque l’on veut seulement extraire les globules rouges et le plasma. Le choix de la méthode dépend, en partie, des besoins en produits plaquettaires. Dans l’ensemble, environ la moitié des unités de globules rouges sont produites à l’aide de la première méthode et l’autre moitié, à l’aide de la deuxième.
Les globules rouges produits selon les deux méthodes sont essentiellement identiques et aucun médecin ne pourrait les distinguer. En revanche, des chercheurs de la Société canadienne ont récemment décelé de légères différences, potentiellement importantes. Par exemple, les concentrés produits à l’aide de la première méthode ont tendance à comporter moins de globules rouges éclatés (phénomène d’hémolyse), tandis que ceux produits à l’aide de la deuxième méthode ont tendance à en comporter plus. Ces différences semblent montrer que la méthode utilisée a des répercussions sur la qualité des produits. Mais a-t-elle aussi des répercussions sur les patients? Si c’est le cas, ces répercussions doivent être subtiles. Aussi, pour pouvoir mener une analyse approfondie, il faut disposer d’une large quantité de données.
Des chercheurs de l’Université McMaster, à Hamilton, en Ontario, ont donc collaboré avec la Société canadienne du sang pour rassembler et examiner de larges ensembles de données sur le traitement du sang et les résultats des thérapies transfusionnelles afin de savoir s’il y avait un lien entre la méthode de production, la durée de conservation des globules rouges et la mortalité en hôpital, c’est-à-dire le risque de mourir à l’hôpital.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
L’étude consistant à analyser des données existantes, il s’agissait d’une étude rétrospective. Les chercheurs ont examiné les dossiers contenus dans le Transfusion Registry for Utilization Tracking and Surveillance, un registre de suivi et de surveillance de l'utilisation des composants sanguins. Ce registre contient les dossiers de patients à qui l’on a transfusé des globules rouges. Tous les patients adultes qui ont reçu des globules rouges dans les trois hôpitaux participants de la région d’Hamilton, entre avril 2008 et mars 2014, ont été inclus dans l’étude.
Ces ensembles de données ont été associés aux données sur le traitement du sang (date du don, méthode de production) et à celles sur le donneur (sexe, âge, don anonyme) que détient la Société canadienne du sang. Les chercheurs ont ensuite réparti les transfusions de globules rouges en sept groupes distincts en fonction de la méthode de production (méthode n° 1 ou 2) et de la durée de conservation (frais : 1 à 7 jours, mi-frais : 8 à 35 jours, et âgés : 36 à 42 jours).
Quelles sont les conclusions de l’étude?
Les patients qui avaient uniquement reçu des globules rouges mi-frais produits à l’aide de la première méthode ont constitué le groupe de référence. Tous les autres groupes ont été analysés en comparaison avec ce groupe. Quelles sont les conclusions de l’étude? Les chercheurs ont pu examiner les données de 23 634 adultes ayant reçu une ou plusieurs transfusions en milieu hospitalier.
L’examen de 91 065 transfusions de globules rouges a révélé un lien entre la mortalité en hôpital et l’exposition à des globules rouges frais (1 à 7 jours de conservation) obtenus par la deuxième méthode. En effet, il semblerait que ces globules rouges soient associés à un plus grand risque de mortalité que les globules rouges mi-frais obtenus par la première méthode (groupe de référence). L’étude n’a rien révélé d’autre qui soit digne d’intérêt.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Cette étude est la première à établir un lien entre la méthode de production des composants sanguins et les effets sur les patients. Les résultats suggèrent que les concentrés de globules rouges frais produits par filtration du sang total (méthode n° 2) peuvent avoir de plus mauvaises conséquences pour les patients que les concentrés de globules rouges plus âgés produits de la même façon ou que les concentrés de globules rouges produits par filtration des globules rouges (méthode n° 1).
Il s’agit d’une étude prospective dont le but était de générer des hypothèses, c’est-à-dire d’établir des liens, sans pour autant montrer de relations de cause à effet, et de susciter d’autres angles de recherche. Les études rétrospectives pouvant, par nature, être biaisées par des facteurs inconnus ou non contrôlés, à ce stade, les résultats obtenus ne constituent que des suggestions. Pour que ces suggestions soient validées, il faut obtenir une confirmation indépendante, à l’aide d’autres ensembles de données et d’autres preuves obtenues, de préférence, à partir d’études cliniques prospectives aléatoires et contrôlées.
De plus, dépendamment du mode de traitement des dons de sang total, le lien établi par cette étude peut ne pas s’appliquer à tous les pays ni à tous les systèmes d’approvisionnement en sang. À noter, cependant, que les résultats de cette étude sont cohérents avec les résultats d’autres études aléatoires contrôlées cherchant à savoir si la durée de conservation du sang a des répercussions sur les résultats des transfusions : il semblerait bien que les concentrés de globules rouges frais entraînent les pires résultats pour les patients.
Si les résultats de l’étude prospective sont validés, d’autres études permettant de comprendre les mécanismes biologiques à l’origine de cette découverte devront être réalisées. Cela nous permettrait de modifier le traitement du sang total pour améliorer l’innocuité des produits transfusés. Cette étude, canadienne, se situe en première ligne de ce qui pourrait être une nouvelle ère pour les sciences transfusionnelles. Grâce à ces ensembles de données, qui réunissent les données de l’opérateur sanguin et celles des hôpitaux, et aux outils disponibles pour les analyser, les experts en médecine transfusionnelle pourront commencer à disséquer les facteurs en cause afin d’obtenir le produit sanguin optimal. Une compréhension approfondie de ces produits vitaux permettra d’améliorer la sécurité des patients, ainsi que les résultats des thérapies transfusionnelles.
À propos de l’équipe de recherche
Cette étude a été menée par Nancy Heddle, professeure dans le département de médecine de l’Université McMaster, à Hamilton (Ontario) et chercheuse associée à la Société canadienne du sang. Mme Heddle a bénéficié de l’aide d’un certain nombre de collègues de la Société canadienne du sang : Jason Acker, chercheur principal en développement au Centre d’innovation et professeur au département de pathologie et de médecine de laboratoire de l’Université d’Alberta, à Edmonton; Sheila O’Brien, directrice adjointe, Épidémiologie et surveillance; le Dr Donald Arnold, directeur médical et professeur associé dans le département de médecine de l’Université McMaster; et la Dre Kathryn Webert, directrice médicale et professeure associée dans le département de pathologie et de médecine moléculaire de l’Université McMaster. Ont également participé à l’étude, d’autres personnes du département de médecine de l’Université McMaster, du Centre de services de santé de London, à London (Ontario) et du département de statistiques et de sciences actuarielles de l’Université de Waterloo, à Waterloo (Ontario).
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Heddle NM, Arnold DM, Acker JP, Liu Y, Barty RL, Eikelboom JW, Webert KE, Hsia CC, O’Brien SF, Cook RJ: Red blood cell processing methods and in-hospital mortality: a transfusion registry cohort study. Lancet Haematol 2016. DOI : dx.doi.org/10.1016/S2352-3026(16)00020-X
Remerciements :Cette étude a bénéficié du financement pour infrastructures alloué au programme de recherche sur la transfusion de l’Université McMaster ainsi que d’une subvention de recherche prioritaire de la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux, et les Instituts de recherche en santé du Canada. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement celles des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux du Canada.
La Société canadienne du sang remercie les donneurs de sang et les patients qui ont permis de mener cette étude.
Mots-clés : globules rouges, filtration des globules rouges, couche leucoplaquettaire, filtration du sang total, processus, production, traitement, composant sanguin
Vous voulez en savoir plus? Communiquez, par courriel, avec Nancy Heddle, à heddlen@mcmaster.ca, ou avec Jason Acker, à jason.acker@blood.ca.
Le bulletin Concentré de recherche est un outil de mobilisation des connaissances élaboré par le Centre d’innovation de la Société canadienne du sang.