Doubler le délai de 30 minutes établi sans compromettre la qualité et l’innocuité des globules rouges
En bref ...
Une fois préparés pour leur envoi dans les hôpitaux, les concentrés de globules rouges doivent être conservés au réfrigérateur afin de maintenir leur viabilité et limiter la croissance bactérienne jusqu’à ce qu’ils soient transfusés à un patient. La présente étude a démontré que les concentrés de globules rouges peuvent être exposés à la température ambiante pendant une période pouvant atteindre 60 minutes, et ce, à plusieurs reprises durant leur période de conservation totale, sans que leur qualité et leur innocuité soient compromises.
Composées de cellules et d’éléments biologiques, les unités de CGR doivent être entreposées à une température contrôlée pour maintenir leur viabilité et limiter la croissance bactérienne. Les organismes de réglementation internationale ont établi une norme, appelée la « règle des 30 minutes », visant à restreindre l’exposition des CGR à des températures non contrôlées à une durée maximale de 30 minutes de façon à empêcher les bactéries de proliférer à des concentrations mortelles.
Dans la pratique, il n’est toutefois pas toujours possible d’amorcer une transfusion dans un délai de 30 minutes; il en résulte un gaspillage de concentrés, qui doivent alors être jetés, de même que le risque de devoir retarder davantage la transfusion. Les conséquences économiques de la règle des 30 minutes sont considérables. En Angleterre, plus de 9 000 unités de CGR ont été mises au rebut en 2008 et 2009 pour avoir été trop longtemps exposées à une température non contrôlée. En 2009, la province de l’Ontario, au Canada, a quant à elle dû éliminer 457 unités pour se conformer à la règle.
Les études ayant mené à l’adoption de cette règle des 30 minutes ont été menées dans les années 1970, à une époque où les produits sanguins étaient conservés dans des flacons de verre avec ou sans l’ajout d’additifs, ce qui ne reflète pas les pratiques d’aujourd’hui. D’une durée de deux ans, la présente étude avait pour objectif de documenter l’exposition d’unités de CGR à la température ambiante ainsi que toute variation de la qualité des composés et de la croissance bactérienne afin de pouvoir confirmer ou rejeter l’existence d’un lien de cause à effet.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Le centre de recherche de la Société canadienne du sang de Vancouver a collecté du sang total auprès de donneurs volontaires en bonne santé. Le traitement et l’entreposage des unités de CGR ont été réalisés conformément aux procédés de fabrication normalisés de la Société canadienne du sang. Pour l’expérience, les chercheurs ont utilisé des groupes de deux unités de CGR présentant une compatibilité ABO et un Rh négatif préalablement mélangées, puis fractionnées en échantillons identiques.
Durant la phase I de l’étude, des unités de CGR (exemptes de bactéries ou inoculées avec Serratia liquefaciens et Serratia marcescens) ont été exposées à la température ambiante une seule fois pendant cinq heures ou à plusieurs reprises pendant 30 minutes chaque fois.
- Les unités non contaminées ont été soumises à des tests de qualité comportant une gamme d’analyses in vitro qui visaient à évaluer les caractéristiques des CGR, les potentiels changements métaboliques et la présence d’une lésion biomécanique, afin de mesurer les variations qualitatives entre des unités témoins et celles exposées à la température ambiante. Les unités contaminées ont été soumises à des épreuves visant à évaluer la croissance bactérienne à l’aide d’un test standard de formation de colonies microbiennes.
On a déterminé la température interne des produits en utilisant un groupe d’unités factices préalablement entreposées, puis retirées de leur milieu d’entreposage parallèlement aux unités étudiées. Les températures internes et externes des CGR ont été contrôlées au moyen d’enregistreurs de température classiques.
- Au cours de la phase II de l’étude, des unités inoculées avec des bactéries (Staphylococcus epidermidis, Escherichia coli, Yersinia enterocolitica et Serratia marcescens) ont été exposées à la température ambiante à plusieurs reprises au cours de leur période de conservation totale, chaque fois pendant 30 ou 60 minutes. Toutes les unités de CGR ont été soumises à des épreuves visant à évaluer la croissance bactérienne, et leur température interne a été établie conformément aux protocoles utilisés durant la phase I.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- La température interne des unités de CGR s’est située entre 7,3 et 11,6 °C au cours des expositions de 30 minutes à la température ambiante.
- Le temps requis pour que la température interne des unités atteigne 10 °C a varié de 22 à 55 minutes au cours des expositions de cinq heures à la température ambiante.
- La qualité des unités de CGR a été préservée, tant après une exposition unique qu’après des expositions répétées à la température ambiante.
- La croissance bactérienne n’a pas augmenté de façon significative durant les deux premières heures de la période d’exposition de cinq heures des unités à la température ambiante.
- On a observé une différence statistiquement significative quant à la croissance bactérienne uniquement après deux heures dans les unités de CGR soumises à une exposition unique de cinq heures, de même qu’entre les unités témoins et celles soumises à des expositions répétées de 30 minutes.
- Le degré de croissance bactérienne s’est révélé comparable entre les unités de CGR contaminées, qu’elles aient été exposées à la température ambiante pendant 30 ou 60 minutes.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Les résultats de cette étude concordent avec ceux d’autres études internationales qui prônent l’extension de la règle des 30 minutes. Les organismes d’approvisionnement en sang peuvent utiliser les résultats de la présente étude pour prendre des décisions éclairées au moment d’envisager cette possibilité. À la lumière de données probantes, les chercheurs ont proposé d’étendre à 60 minutes le délai de 30 minutes établi pour la conservation des unités de CGR hors d’une température contrôlée. Cette modification de la règle permettrait de réduire les rejets de produits et donc améliorer l’état des réserves de la Société canadienne du sang et des hôpitaux, puisqu’on pourrait maintenir les produits plus longtemps dans un milieu non contrôlé sans altérer leur qualité et leur innocuité pour la transfusion.
Cette proposition a été soumise à l’Association canadienne de normalisation (CSA), laquelle a conclu que les données fournies sur la qualité des CGR étaient suffisantes, mais que les expériences sur l’activité bactérienne devaient encore être répétées pour qu’elle puisse donner son approbation finale au changement de la norme. La proposition a également été présentée à la Société canadienne du sang, qui procède actuellement à son évaluation. S’il est adopté, ce changement devrait avoir une incidence notable sur les pratiques des organismes d’approvisionnement en sang, dans la mesure où il permettrait d’augmenter la limite d’exposition des globules rouges à un milieu non contrôlé pendant le processus de fabrication. Plus important encore, il permettra aux hôpitaux de réduire le gaspillage de ces précieux composants sanguins sans compromettre leur innocuité et leur efficacité pour les patients.
À propos de l’équipe de recherche
La Dre Sandra Ramirez occupe les fonctions de chercheuse, Développement, à la Société canadienne du sang et est professeure adjointe au département de biochimie, microbiologie et immunologie de l’Université d’Ottawa. Le Dr Eiad Kahwash occupe les fonctions de directeur médical au centre d’Halifax de la Société canadienne du sang. La Dre Yulia Lin est spécialiste de la médecine transfusionnelle au Sunnybrook Health Sciences Centre. Le Dr Jason Acker est directeur associé, Développement, et chercheur principal à la Société canadienne du sang. Il est également professeur agrégé au département de biologie médicale et pathologie de l’Université de l’Alberta. Natasha McLaughlin est chef de projet et travaille avec le Dr Kahwash. Cherie Mastronardi et Adele Hansen sont chefs de projet au sein du groupe canadien de recherche et développement. Heather Perkins, Yuntong Kou, Tracey Turner et Dilini Kumaran sont adjoints de recherche aux laboratoires netCAD de la Société canadienne du sang. Mariam Taha est aspirante au doctorat et travaille avec la Dre Ramirez. Le Dr Qi-Long Yi est biostatisticien principal au sein du groupe national d’épidémiologie et de surveillance de la Société canadienne du sang.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Ramirez-Arcos S, Perkins H, Kou Y, Mastronardi C, Kumaran D, Taha M, Yi Q-L, McLaughlin N, Kahwash E, Lin Y et Acker J. Bacterial growth in RBC units exposed to uncontrolled temperatures: challenging the 30-minute rule. Vox Sanguinis 2013 Feb 9. doi: 10.1111/vox.12027. Cet article a été publié dans le bulletin no 7 des America’s Blood Centers (ABC), 22 février 2013, page 8.
[2] Ramírez-Arcos, S., Mastronardi, C., Perkins, H., Kou, Y., Turner, T., Hansen, A., Yi, Q-L., McLaughlin, N., Kawash, E., Lin Y. et Acker, J. Evaluating the 4-hour and 30-minute rules: Effects of room temperature exposure on red blood cell quality and bacterial growth. Transfusion. 2012 Jul 31. doi: 10.1111/j.1537-2995.2012.03807.x.
Remerciements : La réalisation de cette étude a été rendue possible grâce à une subvention du Programme de recherche‑développement de la Société canadienne du sang, financé par les ministères de la Santé des gouvernements fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les opinions exprimées dans le présent bulletin ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada. La Société canadienne du sang tient à remercier tous les donneurs de sang qui ont permis de mener cette étude.
Mots clés : règle des 30 minutes, globules rouges, contamination bactérienne.
Pour en savoir plus? Veuillez communiquer avec la Dre Sandra Ramirez à l’adresse sandra.ramirez@blood.ca.
Le bulletin concentré de recherche est un outil de mobilisation des connaissances élaboré par la Société canadienne du sang.