Dépistage d’agents pathogènes : la modélisation du risque au service de la sécurité de l’approvisionnement en sang
En bref ...
Cette étude de modélisation suggère que dépistage le HTLV seulement chez les nouveaux donneurs aurait un impact négligeable sur le risque de contamination des receveurs.
Le virus T-lymphotrope humain (HTLV), dont il existe deux souches pathogènes, peut se transmettre lors d’une relation sexuelle, lors de la transfusion de plaquettes ou de culot globulaire contaminés, et de la mère au bébé pendant l’accouchement et l’allaitement. Une fois que l’on a été infecté par le HTLV, on le reste à vie. Bien que ce virus puisse déclencher un certain nombre de maladies, cela est rare. Par conséquent, la plupart des personnes qui en sont infectées ne le savent pas.
Au Canada, chaque don de sang fait systématiquement l’objet d’un test de dépistage du HTLV depuis 1990.
À ce jour, aucun cas de transmission du HTLV par transfusion n’a été signalé. La prévalence du HTLV dans les dons de sang est d’environ 1 sur 100 000 dons. Ce ratio n’a pas changé en vingt ans de surveillance épidémiologique et la plupart des donneurs qui se révèlent positifs au HTLV sont de nouveaux donneurs.
En 1999, on a introduit au Canada la réduction leucocytaire systématique – un processus qui permet de réduire, de façon substantielle, le nombre de globules blancs ou leucocytes. Cette pratique réduit le risque de contamination des produits sanguins par le HTLV puisque celui-ci infecte les globules blancs. La réduction leucocytaire systématique remet en question la pertinence des tests de dépistage du HTLV réalisés sur le sang des donneurs. Certains pays européens qui appliquent la réduction leucocytaire ne pratiquent pas ces tests. Les autres – l’Angleterre et l’Irlande – ont choisi récemment de ne tester que les nouveaux donneurs. Pour comprendre l’impact d’un tel changement de pratique au Canada, les chercheurs ont mis au point un modèle de simulation. Ce modèle a pour objectif d’estimer le risque qu’une unité de culot globulaire ou de plaquettes contaminés par le HTLV soit introduite dans le système transfusionnel, c’est-à-dire qu’elle soit disponible à la transfusion.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Les chercheurs ont utilisé la simulation d’expériences aléatoires pour modéliser le risque d’introduction d’une unité de sang contaminé par le HTLV dans le système transfusionnel selon trois scénarios :
- chaque don de sang fait l’objet d’un dépistage (approche actuelle);
- seul le sang des nouveaux donneurs fait l’objet d’un dépistage;
- aucun dépistage n’est réalisé sur le sang des donneurs.
Des simulations distinctes portant chacune sur 10 milliards de nouveaux donneurs ont été réalisées pour le culot globulaire, les plaquettes produites à partir de sang total et les plaquettes d’aphérèse. Le modèle a ensuite été développé à partir de données réelles. Par exemple, le nombre de globules blancs résiduels contenu dans les produits sanguins après la réduction leucocytaire était basé sur les données de contrôle de la qualité de la Société canadienne du sang et d’Héma-Québec. La dose infectieuse de HTLV, elle, était basée sur des données provenant d’une étude japonaise.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
Avec la réduction leucocytaire systématique :
- lorsque chaque don de sang fait l’objet d’un dépistage, le risque résiduel d’introduction d’une unité de sang contaminé par le HTLV dans le système transfusionnel est estimé à 1 sur 1,2 milliard d’unités;
- lorsque seuls les nouveaux donneurs font l’objet d’un dépistage, le risque résiduel est estimé à 1 sur 7,1 millions d’unités;
- lorsqu’aucun dépistage n’est réalisé sur le sang des donneurs, le risque résiduel est estimé à 1 sur 1,0 million d’unités.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Les résultats de cette étude montrent que l’abandon du dépistage systématique du HTLV pour l’adoption du dépistage des nouveaux donneurs uniquement n’occasionnerait qu’un léger changement en termes de risque. Que signifie le risque calculé en contexte? La Société canadienne du sang produit environ 0,8 million d’unités de culot globulaire et moins de 0,2 million d’unités de plaquettes destinées à la transfusion par année. Le modèle utilisé dans cette étude a permis d’estimer le risque d’introduction d’une unité de sang contaminé par le HTLV dans le système transfusionnel, ce qui veut dire que le risque de transmission du HTLV par voie transfusionnelle serait encore plus faible. Et même si cela venait à se produire, on sait qu’une infection au HTLV se transforme rarement en maladie. Par ailleurs, selon l’étude, même si la prévalence du HTLV venait à augmenter de manière substantielle chez les donneurs, le dépistage systématique des nouveaux donneurs permettrait de garder ce risque à un niveau relativement faible. En revanche, l’arrêt total des tests de dépistage sur le sang des donneurs engendrerait un niveau de risque non acceptable.
En matière de produits sanguins, le risque zéro n’existe pas. Toutefois, en tant que fournisseur de sang, nous nous efforçons de maintenir un niveau de risque acceptable le plus bas possible. Le risque associé au dépistage systématique des nouveaux donneurs est suffisamment faible pour être considéré comme acceptable, et les résultats de cette étude suggèrent qu’il serait temps de changer de pratique s’agissant du dépistage du HTLV. Pour bien déterminer le rapport risque-avantages d’un tel changement, d’autres composantes doivent être prises en compte. Par exemple, des analyses économiques réalisées en Angleterre suggèrent que ce changement de pratique pourrait permettre de réaliser des économies. Il faudrait donc envisager de faire de telles analyses pour le Canada afin de savoir si ce changement de pratique nous permettrait également de réaliser des économies.
À propos de l’équipe de recherche
Cette étude a été réalisée par Sheila O’Brien, Qi-Long Yi et Mindy Goldman du Centre d’innovation de la Société canadienne du sang, ainsi qu’Yves Grégoire et Gilles Delage d’Héma-Québec. Sheila O’Brien est directrice associée en épidémiologie et en surveillance à la Société canadienne du sang, et professeure auxiliaire à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa. Qi-Long Yi est biostatisticien principal à la Société canadienne du sang et professeur auxiliaire à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa. Mindy Goldman est directrice médicale à la Société canadienne du sang et professeure auxiliaire au Département de pathologie et médecine de laboratoire de l’Université d’Ottawa.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] O’Brien SF, Yi Q-L, Goldman M, Gregoire Y, Delage G. Human T-cell lymphotropic virus: A simulation model to estimate residual risk with universal leukoreduction and testing strategies in Canada. Vox Sang 2018: 113; 750-759.
Remerciements : Cette étude a bénéficié du financement de la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement celles des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux du Canada. La Société canadienne du sang remercie les donneurs de sang qui ont permis de mener cette recherche.
Mots-clés : sécurité, innocuité, virus T-lymphotrope humain, dépistage, maladie infectieuse, simulation.
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Sheila O’Brien, à sheila.obrien@blood.ca