Comment l’anti-D est-il capable d’empêcher la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né? Réponses à l’aide d’un modèle murin
En bref ...
L’étude des mécanismes d’immunosuppression utilisés par les anticorps érythrocytaires permettra aux chercheurs de développer de meilleurs traitements contre les maladies immunitaires.
Il semble que la suppression de la réponse immunitaire par l’anti-D se fasse selon plusieurs mécanismes. Si l’on pouvait déterminer les mécanismes jouant un rôle important dans l’efficacité de l’anti-D, on pourrait alors améliorer les traitements préventifs contre la maladie du fœtus et du nouveau-né ainsi que ceux que l’on utilise dans d’autres maladies immunitaires graves. Les chercheurs ont donc mené une série d’études dans le but d’évaluer l’importance de chacun de ces mécanismes dans la suppression de la réponse immunitaire.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Les chercheurs ont étudié la réponse immunitaire chez des souris chez qui ils avaient reproduit le système immunitaire d’une mère enceinte à la suite de l’administration d’anticorps comme l’anti-D. Pour simuler l’exposition de la mère aux globules rouges du fœtus, ils ont injecté à ces souris des globules rouges « étrangers » qui avaient été génétiquement modifiés pour contenir à leur surface des antigènes provoquant une réponse immunitaire. Ces antigènes présentaient différents sites de reconnaissance pour les anticorps. Enfin, ils ont également mené des études sur d’autres anticorps induisant une immunosuppression afin de comprendre d’autres types de mécanismes d’immunosuppression.
Dans la première étude, les chercheurs ont étudié quatre anticorps différents présentant une activité immunosuppressive : deux anticorps qui entraînaient l’élimination totale des globules rouges « étrangers » et deux anticorps qui n’avaient pas cet effet. Ils ont examiné la façon dont l’activité immunosuppressive était influencée par les molécules glyquées présentes dans ces anticorps. Ils ont injecté aux souris soit des anticorps non modifiés, soit des anticorps dont les molécules glyquées présentes dans la région Fc, région de l’anticorps qui interagit avec les cellules immunitaires, avaient été enlevées à l’aide d’une enzyme. Cette manipulation empêchait les anticorps d’interagir avec les récepteurs de Fc présents à la surface des cellules immunitaires.
Dans la deuxième étude, les chercheurs ont utilisé un anticorps qui entraînait l’élimination totale des globules rouges « étrangers », mais qui permettait aux anticorps produits par le système immunitaire de se lier au site antigénique des globules rouges responsables du déclenchement de la réponse immunitaire. Ils ont ensuite évalué cette réponse immunitaire en mesurant la quantité d’anticorps présents dans le sang.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
Selon les résultats de la première étude, il semblerait que l’élimination totale des globules rouges ne soit pas déterminante dans cette immunosuppression induite par anticorps :
- Pour les deux anticorps entraînant une immunosuppression, mais ne causant pas l’élimination totale des globules rouges « étrangers », le retrait des molécules glyquées n’a eu aucun effet sur l’activité immunosuppressive.
- Pour les deux anticorps censés entraîner l’élimination totale des globules rouges « étrangers », l’absence des molécules glyquées a empêché ou réduit l’élimination de ceux-ci. L’un de ces anticorps est quand même parvenu à inhiber la réponse immunitaire en dépit du traitement enzymatique qu’il avait subi et dont le but était d’empêcher l’élimination des globules rouges « étrangers ».
Confirmant les résultats de la première étude, la deuxième étude montre que l’élimination des globules rouges « étrangers » n’est pas toujours nécessaire dans cette immunosuppression induite par anticorps :
- Les chercheurs ont identifié un effet de seuil lors de l’administration des anticorps : l’immunosuppression n’est survenue que lorsque les souris avaient reçu des anticorps en quantité suffisante pour saturer les sites antigéniques des globules rouges « étrangers ».
- L’empêchement stérique, c’est-à-dire le blocage physique de l’accès aux antigènes présents à la surface des globules rouges « étrangers » par les anticorps, ne semble pas être un mécanisme majeur dans la reconnaissance immunitaire des globules rouges « étrangers ».
- Deux heures après la transfusion, les globules rouges « étrangers » des souris auxquelles on avait administré les anticorps présentaient une plus faible quantité d’antigènes détectables à leur surface (perte antigénique). Cela suggère que la réaction immunitaire a été évitée grâce à la suppression des antigènes de la surface des globules rouges « étrangers ».
- L’inhibition complète de la réponse immunitaire a eu lieu pour les trois doses d’anticorps ayant entraîné la perte antigénique. L’élimination des globules rouges « étrangers » s’est révélée différente selon la dose administrée; ce qui suggère que l’élimination des globules rouges ne joue pas un rôle important dans la suppression de la réponse immunitaire.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Pendant des années, les chercheurs ont pensé qu’afin de prévenir la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né, l’interaction de l’anti-D avec les récepteurs de Fc présents sur les cellules immunitaires était essentielle à l’élimination des globules rouges du fœtus dans le sang de la mère ainsi qu’à la suppression de la réponse immunitaire induite par les anticorps de celle-ci. Or, dans la première étude, même si l’altération de la glycosylation de la région Fc a permis de réduire ou d’empêcher l’élimination des globules rouges « étrangers », cela n’a pas complètement bloqué l’action immunosuppressive des anticorps. La deuxième étude confirme cette hypothèse en montrant que l’élimination des globules rouges n’est pas forcément requise dans la suppression de la réponse immunitaire induite par les anticorps.
La recherche pourra se baser sur ces deux études pour développer des médicaments contre la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né en remplacement de l’anti-D. L’anti-D que l’on utilise actuellement est purifié à partir du plasma d’un faible nombre de donneurs qui produisent beaucoup d’anticorps anti-D. La disponibilité de ce produit peut donc être sujette à pénurie et, théoriquement, présenter un risque sanitaire, et ce, même si le produit est très sûr. Il serait donc bénéfique, pour éviter ces risques, de remplacer l’anti-D fabriqué à partir de dons de plasma par d’autres produits, tels que des anticorps fabriqués en laboratoire. Grâce à l’étude des mécanismes d’immunosuppression des anticorps, les chercheurs peuvent mettre au point de nouveaux anticorps en se focalisant sur ces mécanismes, ce qui permettra de garantir un approvisionnement constant en produits sûrs et efficaces pour le traitement des maladies immunitaires comme la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né. Enfin, si comme l’étude semble suggérer, la saturation du site antigénique par l’anticorps est essentielle à l’inhibition de la suppression de la réponse immunitaire, on peut utiliser ce mécanisme pour améliorer les traitements actuels et orienter la mise au point de nouvelles stratégies thérapeutiques.
À propos de l’équipe de recherche
L’auteur principal des deux articles, le Dr Alan Lazarus, est chercheur à la Société canadienne du sang et professeur de médecine à l’Université de Toronto. Il est également membre du groupe de travail sur l’immunologie plaquettaire du Centre de recherche Keenan sur les sciences biomédicales de l’hôpital St. Michael’s, à Toronto. Ont également participé à ces études, une étudiante de troisième cycle (D. Marjoram), trois stagiaires postdoctoraux (Y. Cruz-Leal, L. Bernardo et X. Yu) ainsi que des chercheurs du Royaume-Uni (M. Crispin et N.P.L. Le) et du Japon (M. Uchikawa).
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Marjoram D, Cruz-Leal Y, Bernardo L, Le NPL, Crispin M, Yu X, Uchikawa M, Lazarus AH. Immunoglobulin g Fc glycans are not essential for antibody-mediated immune suppression to murine erythrocytes. Blood 2017; 130: 2902-5.
[2] Cruz-Leal Y, Marjoram D, Lazarus AH. Erythrocyte saturation with IgG is required for inducing antibody-mediated immune suppression and impacts both erythrocyte clearance and antigen-modulation mechanisms. J Immunol 2018; 200: 1295-305.
Remerciements : Ce projet de recherche a bénéficié du soutien financier de la Société canadienne du sang (Programme de subventions de fonctionnement de la Société canadienne du sang et des Instituts de recherche en santé du Canada et Programme de subventions pour la recherche en médecine transfusionnelle), elle-même financée par le gouvernement fédéral (Santé Canada) et les ministères de la Santé provinciaux et territoriaux. Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada.
Mots-clés : immunoglobulines, IgIV, anticorps, immunosuppression, immunodépression, maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec le Dr Alan Lazarus, par courriel, à lazarusa@smh.ca.
Le bulletin concentré de recherche est outil de mobilisation des connaissances élaboré par le Centre d’innovation de la Société canadienne du sang