Combattre l'inflammation par l'inflammation
En bref ...
Les anticorps érythrocytaires constituent une solution thérapeutique, jamais encore explorée, pour le traitement des maladies inflammatoires et auto-immunes.
Le traitement de choix des maladies inflammatoires et auto-immunes consiste à inhiber la réponse immunitaire par l’administration de médicaments immunosuppresseurs. Généralement efficace, ce traitement peut entraîner d’importants effets secondaires, en particulier sur le long terme. D’autres traitements existent, comme les immunoglobulines intraveineuses (IgIV), qui peuvent s’avérer très efficaces chez certains patients. Toutefois, on connaît mal le rôle des IgIV dans le traitement de ces maladies, leur production à partir de plasma revient chère et, malgré leur disponibilité limitée, la demande ne cesse d’augmenter. Nous devons donc commencer à chercher d’autres solutions.
Dans l’étude qui nous concerne ici, les chercheurs ont réussi à démontrer qu’un anticorps inflammatoire dirigé contre les globules rouges pouvait traiter certaines maladies inflammatoires. Cette approche est contraire à l’approche immunosuppressive traditionnelle que l’on utilise pour traiter ces maladies. Il semblerait donc que ces anticorps érythrocytaires constituent une solution thérapeutique, jamais encore explorée, pour le traitement des maladies inflammatoires et auto-immunes.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Les chercheurs ont tout d’abord étudié le purpura thrombopénique immunologique, une maladie auto-immune qui amène le système immunitaire à créer des anticorps contre les plaquettes, ce qui cause leur destruction dans la rate. Sont impliquées dans ce processus, des cellules immunitaires que l’on appelle des macrophages (un type de globule blanc) et un récepteur situé sur ces cellules, le récepteur Fc ou FcR. La destruction des plaquettes entraîne une diminution de la numération plaquettaire et une augmentation des risques d’hémorragie. Or, il s’avère que l’anti-D, un anticorps capable de reconnaître les globules rouges, constitue un traitement efficace contre le purpura thrombopénique immunologique chez beaucoup de patients. Les raisons de cette efficacité étant pour l’instant inconnues, son application aux maladies auto-immunes reste limitée au traitement du purpura thrombopénique immunologique. Les chercheurs ont ensuite entrepris d’étudier un autre anticorps érythrocytaire, le Ter119, qui avait déjà été utilisé pour comprendre le mécanisme d’action de l’anti-D dans le traitement du purpura thrombopénique immunologique. L’anticorps Ter119 étant un anticorps murin, l’étude a été réalisée avec des souris. Pour ce faire, les chercheurs ont pris des modèles murins atteints de purpura thrombopénique immunologique et d’autres maladies inflammatoires et auto-immunes, dont l’arthrite et le TRALI (syndrome respiratoire aigu post-transfusionnel), une réaction post-transfusionnelle rare, mais grave. Ils ont cherché à savoir si le Ter119 pouvait prévenir le développement de ces maladies ou constituer un traitement efficace. Ils ont réalisé des analyses en laboratoire pour examiner les cellules immunitaires ainsi que les médiateurs de la réponse immunitaire pour comprendre les mécanismes des effets observés.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
Le Ter119 est capable de guérir le purpura thrombopénique immunologique chez les souris selon un mécanisme indépendant de celui de l’anémie ― conséquence attendue de la destruction des globules rouges par un anticorps érythrocytaire.
Le Ter119 a été capable de prévenir l’arthrite chez trois modèles de souris différents. Le Ter119 a pu être utilisé avec succès en traitement prophylactique, c’est-à-dire en prévention, et en traitement curatif, c’est-à-dire qu’il a pu éradiquer la maladie et améliorer l’inflammation et l’histologie des articulations affectées.
Le fragment Fc du Ter119 semble jouer un rôle important dans ces propriétés thérapeutiques. En effet, lorsque la fonction du fragment Fc était altérée, le Ter119 ne parvenait plus à traiter l’arthrite tout en continuant à entraîner une anémie. Le Ter119 déclenche la production de monocytes (un autre type de globule blanc) et de chimiokines, altère les monocytes présents dans le sang et le foie, et empêche l’accumulation des chimiokines, des composants du complément et des cellules inflammatoires; tout en ayant pour effet de moduler l’inflammation. Il semblerait donc que le Ter119 résolve les troubles inflammatoires et immunitaires en modifiant ou en redirigeant la réponse immunitaire.
Le Ter119 a empêché la survenue du TRALI chez une souris présentant un trouble immuno-inflammatoire censé imiter la survenue d’un TRALI chez l’être humain.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Bien que le Ter119 soit considéré comme un anticorps inflammatoire, parce qu’il entraîne une augmentation de la température corporelle et de la production de cytokines pro-inflammatoires, il semblerait qu’il puisse jouer un rôle anti-inflammatoire dans des modèles de souris de maladies auto-immunes. De plus, les résultats de l’étude indiquent que les interactions dans lesquelles sont impliqués le récepteur Fc et le complément pourraient jouer un rôle important dans les propriétés anti-inflammatoires du Ter119.
Ainsi, il semblerait que les anticorps érythrocytaires puissent représenter une solution thérapeutique viable pour le traitement des maladies inflammatoires et auto-immunes. Le développement et l’utilisation de ces anticorps en remplacement des IgIV et de l’anti-D dans le traitement de ce type de maladies pourraient donc permettre de réduire la demande de ces produits, tous deux dérivés de plasma humain. L’étude a également permis de mieux comprendre les mécanismes d’action des IgIV et de l’anti-D dans le traitement du purpura thrombopénique immunologique, et de remettre en cause l’idée selon laquelle leurs modes d’action seraient similaires.
Toutefois, il s’agit là d’une première étape et, bien qu’elle ait permis d’étudier la possibilité de nouveaux traitements et de mieux cerner certains mécanismes d’action, les conclusions de cette étude ne peuvent être transposées en l’état chez l’être humain. Pour ce faire, il faudrait trouver un anticorps réactif chez l’être humain qui présente les mêmes propriétés thérapeutiques, et que l’on puisse l’étudier in vivo.
Cette étude a été effectuée en partenariat avec CSL Behring, qui a réalisé un certain nombre d’analyses après les découvertes initiales de l’équipe du professeur Lazarus. Ces résultats pourraient avoir un potentiel thérapeutique élargi et permettre l’arrêt des thérapies immunosuppressives, qui constituent actuellement le traitement de base des maladies auto-immunes.
À propos de l’équipe de recherche
Cette étude a été réalisée par le professeur Alan Lazarus, chercheur à la Société canadienne du sang, professeur de médecine à l’Université de Toronto et membre du groupe d’immunologie plaquettaire du Keenan Research Centre for Biomedical Science de l’hôpital St Michael’s (Toronto). Il a été aidé par le professeur Heyu Ni, également chercheur à la Société canadienne du sang et professeur dans les départements de médecine, de médecine de laboratoire et de pathobiologie, et de physiologie de l’Université de Toronto, et directeur de la plateforme d’hématologie, d’oncologie et des maladies immunologiques de l’hôpital St Michael’s. Ont également participé à cette étude des partenaires universitaires au Canada, en Suisse et aux Pays-Bas, ainsi que des partenaires industriels, comme CSL Behring AG et CSL Ltd, en Suisse et en Australie.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Crow AR, Kapur R, Koernig S, et al.: Treating inflammatory disease with an anti-erythrocyte antibody. Sci Transl Med 2019 Vol. 11, Issue 506, eaau8217. DOI: 10.1126/scitranslmed.aau8217
Remerciements : Cette étude a été en partie financée par la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les idées exprimées dans le présent document ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada, ou des gouvernements provinciaux ou territoriaux. AHL (#FRN6897) et JWS ont bénéficié, après examen du projet par des pairs, de subventions de fonctionnement dans le cadre du fonds du partenariat entre les Instituts de recherche en santé du Canada et la Société canadienne du sang, et AHL a également bénéficié de deux subventions internes de fonctionnement de la Société canadienne du sang (2013-IG-AL00545 et 2015-IG-AL). Une partie de l’étude a été financée par CSL. RK, IY et YC-L ont bénéficié de bourses postdoctorales de la Société canadienne du sang.
Mots-clés : globules rouges, anticorps, inflammation, maladie auto-immune, purpura thrombopénique immunologique, arthrite, traitement
Vous voulez en savoir plus? Contactez Alan Lazarus par courriel, à lazarusa@smh.ca
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Le bulletin Concentré de recherche est un outil de mobilisation des connaissances élaboré par le Centre d’innovation de la Société canadienne du sang. Le contenu est accessible en ligne à sang.ca.