Cellules tueuses naturelles : quand les cellules perdent le nord!
En bref ...
Cette étude explique comment les anticorps de la mère peuvent entraîner un ralentissement de la croissance du fœtus et une interruption précoce de la grossesse. Elle propose également une nouvelle cible thérapeutique : les cellules tueuses naturelles.
La thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle survient lorsque le système immunitaire de la mère produit des anticorps qui traversent la barrière placentaire pour attaquer les plaquettes du fœtus. Dans de nombreux cas, ces anticorps ciblent des formes légèrement différentes de l’intégrine β3, une protéine d’origine paternelle que l’on retrouve à la surface des plaquettes du fœtus. L’intégrine β3 est également présente sur d’autres types de cellules, telles que les cellules endothéliales, qui tapissent la face interne des vaisseaux sanguins, et les cellules du trophoblaste, lequel forme le placenta et permet à l’embryon d’être rattaché à la paroi utérine.
En plus des cellules du trophoblaste, des cellules immunitaires de la mère, les lymphocytes tueurs naturels ou NK (de l’anglais natural killer), ou encore cellules tueuses naturelles, jouent un rôle important dans la formation et le fonctionnement du placenta. Contrairement aux lymphocytes NK que l’on trouve dans le reste du corps, les lymphocytes NK se trouvant dans l’utérus sont considérés comme non cytotoxiques, c’est-à-dire non tueurs. Au début de la grossesse, les lymphocytes NK de l’utérus induisent une immunotolérance et contrôlent la migration des cellules trophoblastiques du placenta vers l’utérus. Cette invasion des cellules trophoblastiques est essentielle à la formation appropriée d’un réseau vasculaire complexe qui permet l’échange des nutriments dans le placenta.
Pour clarifier les effets de la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle sur le placenta, les chercheurs de la Société canadienne du sang ont étudié les mécanismes du ralentissement de la croissance fœtale et de la fausse-couche chez un modèle de souris atteint de la maladie.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Pour obtenir le modèle de souris, les chercheurs ont transfusé des plaquettes murines à des souris femelles ne comportant pas le gène codant l’intégrine β3 afin d’obtenir une réponse immunitaire. Ils les ont ensuite fait se reproduire avec des souris mâles saines. Ils ont comparé les symptômes des grossesses de ces souris à ceux de souris de contrôle, à savoir des souris femelles ne portant pas le gène codant l’intégrine β3 et qu’ils avaient fait se reproduire avec des souris mâles saines, mais à qui ils n’avaient pas transfusé de plaquettes. Plusieurs paramètres ont été étudiés, entre autres la survie du fœtus, son poids et sa taille, sa numération plaquettaire et son rythme cardiaque, le nombre de cellules immunitaires et les caractéristiques des lymphocytes NK dans le placenta, le développement des vaisseaux sanguins placentaires, ainsi que l’échange des nutriments et leur structure.
Les chercheurs ont également testé des traitements sur les souris en gestation, comme l’administration d’immunoglobulines intraveineuses (des protéines plasmatiques distribuées par la Société canadienne du sang et communément utilisées dans le traitement de la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle) et l’injection d’anticorps ciblant les lymphocytes NK pour les détruire ou empêcher leur activation.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- Le développement des placentas a été entravé par la réponse immunitaire à l’intégrine β3 : structure anormale, inflammation et diminution du débit sanguin. Les placentas inaboutis ont limité le développement fœtal et, dans beaucoup de cas, ont entraîné des fausses-couches.
- Le développement anormal du placenta a été causé par une augmentation du nombre de lymphocytes NK dans l’utérus. Cela a empêché la migration des cellules trophoblastiques et a entraîné leur mort. Il se peut que cela soit dû à l’interaction entre les lymphocytes NK activés et les cellules trophoblastiques qui présentent l’intégrine β3 à leur surface.
- La réduction du nombre de lymphocytes NK ou l’empêchement de leur activation a permis de sauver les fœtus en restaurant un rythme normal de croissance et en évitant les fausses-couches.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
La plupart des études cliniques sur la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle se sont concentrées sur les saignements que cette maladie pouvait causer, en particulier sur les hémorragies cérébrales. Par conséquent, on ne connaissait pas très bien les effets de la maladie sur le placenta et on ne savait pas si le ralentissement de la croissance fœtale et les fausses-couches, fréquemment observés dans le cadre de cette maladie, étaient dus à un dysfonctionnement du placenta ou non, chose que l’on sait maintenant grâce à cette étude.
Nos chercheurs ont découvert que les lymphocytes NK présents dans l’utérus peuvent être activés par des anticorps de la mère. Une fois activés, ces lymphocytes NK détruisent les cellules trophoblastiques, ce qui entraîne un dysfonctionnement du placenta. Il s’agit là d’une étape importante dans la compréhension des fausses-couches, qui pourrait aider les chercheurs à en savoir plus sur le mécanisme d’interruption précoce de la grossesse, et ce, même en dehors du cadre de la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle.
Cette étude montre également que les immunoglobulines peuvent atténuer les symptômes de la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle en empêchant les lymphocytes NK de s’attaquer aux cellules trophoblastiques. Toutefois, les immunoglobulines étant des produits extrêmement chers et leur approvisionnement étant limité, il faudrait trouver un meilleur traitement, moins cher ou plus efficace.
Cette étude montre également que les lymphocytes NK peuvent non seulement constituer des cibles potentielles pour le traitement de la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle, mais aussi pour celui d’autres troubles liés aux anticorps qui joueraient un rôle dans la fausse-couche. D’autres études doivent donc être réalisées afin de déterminer si les lymphocytes NK ont un rôle similaire dans la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle chez la femme et si un traitement les ciblant donnerait des résultats probants. Si elle s’avère sûre et efficace, une solution visant les lymphocytes NK pourrait constituer une alternative utile aux immunoglobulines et autres traitements coûteux pour le traitement de la thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle.
À propos de l’équipe de recherche
This study was conducted in the laboratory of Dr. Heyu Ni, a Canadian Blood Services Center for Innovation scientist and a professor in the departments of laboratory medicine and pathobiology, physiology and medicine at the University of Toronto. Dr. Ni is the platform director for hematology, cancer and immunologic diseases at St. Michael’s Hospital. The research team included members of Dr. Ni’s laboratory (Issaka Yougbaré, Wei-She Tai, Darko Zdravic, Brigitta Elaine Oswald, Sean Lang, Guangheng Zhu), and collaborators from Toronto (Howard Leong-Poi, Dawei Qu, Lisa Yu, Caroline Dunk, Jianhong Zhang, John G. Sled, Stephen J. Lye, Jelena Brkić, Chun Peng, Xiao-Yan Wen, S. Lee Adamson, John Freedman), Kingston (B. Anne Croy), Ottawa (Duncan Stewart) and Sweden (Petter Höglund).
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Yougbaré I, Tai W, Zdravic D, Oswald BE, Lang S, Zhu G, Leong-Poi H, Qu D, Yu L, Dunk C, Zhang J, Sled JG, Lye SJ, Brkić J, Peng C, Höglund P, Croy BA, Adamson SL, Wen X, Stewart DJ, Freedman J, Ni H. Activated NK cells cause placental dysfunction and miscarriages in fetal alloimmune thrombocytopenia. Nature Communications 2017; 8:224.
Remerciements : Cette étude a bénéficié du soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de la Fondation canadienne pour l’innovation, du St. Michael’s Hospital et de la Société canadienne du sang (Programme national de subventions de fonctionnement de la Société canadienne du sang et des IRSC et bourse postdoctorale pour I.Y.), elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement celles des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux du Canada. Les souris déficientes en intégrine β3 ont été gracieusement fournies par Richard O. Hynes. John W. Semple a aidé à stimuler la conversation pendant la préparation du manuscrit. Ce concentré de recherche a été préparé par trois chercheurs du laboratoire du Dr Ni, à savoir Brigitta Elaine Oswald (candidate à la maîtrise de sciences), Jade A. Sullivan (candidate à la maîtrise de sciences) et Miguel A.D. Neves (boursier postdoctoral), en collaboration avec le groupe de mobilisation des connaissances.
Mots-clés : thrombopénie néonatale par allo-immunisation fœto-maternelle, TNAF, plaquettes, intégrine β, anticorps, cellules tueuses naturelles, lymphocytes NK, immunoglobulines, IgIV
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec le Dr Heyu Ni, à Heyu.Ni@blood.ca.
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