A, B, O... ou K? Faut-il aller au-delà de la compatibilité ABO dans le choix du sang à transfuser aux jeunes femmes?
En bref ...
La transfusion de sang Kell In compatible aux jeunes femmes ayant besoin de sang pourrait réduire les risques de maladie hémolytique du nouveau-né.
Par exemple, une personne du groupe O possède des anticorps anti-A et anti-B. Ces anticorps ont pour rôle d’identifier les antigènes A et B, et de marquer les cellules étrangères sur lesquelles se trouvent ces antigènes pour qu’elles soient détruites. Ainsi, lorsque l’on transfuse du concentré de globules rouges des groupes A, B ou AB à une personne du groupe O, les globules rouges transfusés sont détruits et cela entraîne une grave réaction transfusionnelle. Bien qu’en général, nous ne possédions pas d’anticorps contre les autres antigènes, y compris les antigènes du système rhésus, certaines personnes peuvent, toutefois, en avoir après avoir été exposées à un antigène étranger lors d’une transfusion ou d’une grossesse.
Dans le système rhésus, l’antigène D est l’antigène le plus important. Une grande partie des individus qui ne possèdent pas l’antigène D (groupes sanguins de rhésus D négatif : A-, B-, AB- et O-) deviendront immunisés, c’est-à-dire qu’ils développeront des anticorps anti-D, si on leur transfuse du sang de rhésus D positif (groupes A+, B+, AB+ et O+). Ce sont ces anticorps qui peuvent entraîner des réactions indésirables si l’on continue à transfuser du sang D positif à ces personnes. Lors d’une grossesse, les anticorps peuvent également traverser la barrière placentaire et entraîner la destruction des globules rouges du fœtus si le groupe sanguin de celui-ci est D positif; il s’agit de la maladie hémolytique du nouveau-né. Pour pouvoir transfuser à quelqu’un du sang compatible avec son groupe sanguin, il faut donc analyser le sang du donneur et du receveur afin de déterminer leur groupe sanguin (A, B ou O) ainsi que leur rhésus (D positif ou D négatif),
Bien qu’importants, les antigènes A, B, O et RhD ne sont pas les seuls antigènes sanguins que l’on retrouve à la surface des globules rouges. En réalité, il existe plus de 30 systèmes de groupes sanguins associés à plus de 300 antigènes qui s’expriment à la surface des globules rouges. L’antigène K, également appelé KEL1 ou Kell, fait partie de ces autres antigènes. On le retrouve chez 9 % des personnes d’origine caucasienne et dans une proportion moindre chez les personnes d’autres origines ethniques Comme pour l’antigène RhD, selon que l’on possède ou non l’antigène K, on peut être Kell positif ou Kell négatif. Lorsque du sang Kell positif est transfusé à une personne Kell négatif et que celle-ci est exposée à l’antigène K, elle peut développer des anticorps anti-K.
Par ailleurs, les femmes Kell négatif peuvent également développer des anticorps anti-K au cours d’une grossesse. Ceux-ci peuvent aussi traverser la barrière placentaire et causer la maladie hémolytique du nouveau-né. Pour éviter cela, dans certains pays, on transfuse aux femmes de moins de 45 ans du sang non seulement compatible selon les systèmes ABO et Rh, mais également compatible avec leur phénotype Kell (présence ou non de l’antigène K à la surface de leurs globules rouges). Cette pratique n’étant pas en vigueur au Canada ni aux États-Unis, pour savoir si la mise en place d’une telle pratique devrait être envisagée, nous avons étudié le taux d’anticorps anti-K chez les femmes enceintes ainsi que la cause la plus probable du développement de ces anticorps (transfusion ou grossesse antérieures).
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Au Canada, des analyses sont effectuées pour connaître le groupe sanguin et les antigènes érythrocytaires présents chez les femmes enceintes. La Société canadienne du sang se charge de ces analyses en ColombieBritannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, tandis que dans les autres provinces, elles sont réalisées par d’autres organismes. Les chercheurs ont étudié les résultats des analyses effectuées entre le 1 er janvier 2011 et le 31 décembre 2013 afin de déterminer la fréquence de la présence des anticorps anti-K chez ces patientes. Au Manitoba, les chercheurs ont également cherché à savoir si les femmes présentant des anticorps anti-K avaient déjà reçu des transfusions. Ensuite, ils ont passé en revue la base de données des groupes sanguins des donneurs pour savoir si le sang transfusé provenait d’un donneur Kell positif ou Kell négatif. Pour finir, ils ont examiné les normes internationales sur la transfusion de sang K compatible.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
Des anticorps anti-K ont été trouvés chez 397 patientes sur 390 193, soit 1,02 patiente sur mille. Les anticorps anti-K étaient les deuxièmes anticorps les plus présents, dépassant même les anticorps anti-RhD. Au Manitoba, sur les 75 patientes présentant des anticorps anti-K, 26 (35 %) avaient reçu des transfusions dans la province depuis 2001 :
- 14 patientes avaient reçu au moins une unité de concentré de globules rouges Kell positif.
- 3 patientes n’avaient reçu que des unités Kell négatif.
- 9 patientes avaient reçu du sang provenant de donneurs au phénotype Kell inconnu ou incomplet.
- 8 patientes avaient déjà été enceintes et, pour 3 d’entre elles, de partenaires Kell positif Sur les 49 patientes manitobaines restantes présentant des anticorps anti-K et sans antécédents de transfusion dans la province depuis 2001, 22 avaient déjà été enceintes. La majorité des partenaires au phénotype Kell connu, étaient Kell négatif.
À l’international, les pratiques varient. La transfusion de sang Kell négatif ou compatible aux femmes âgées de moins de 45 ans susceptibles de tomber enceinte est devenue standard dans plusieurs pays européens (Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Belgique et Allemagne).
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Cette étude montre que les transfusions peuvent favoriser le développement d’anticorps anti-K. En effet, 35 % des patientes manitobaines porteuses d’anticorps anti-K avaient reçu une transfusion dans la province depuis 2001. Il s’agit probablement d’une sous-estimation, car il est possible que certaines patientes aient reçu des transfusions avant 2001 ou dans d’autres provinces.
La transfusion de sang Kell compatible aux femmes de moins de 45 ans réduit les risques de maladie hémolytique du nouveau-né dus aux transfusions, comme c’est le cas aux Pays-Bas où c’est la norme depuis 1993. Au Canada, aux États-Unis et en Australie, certains hôpitaux ont commencé à utiliser du sang Kell compatible dans les transfusions aux jeunes femmes, mais cela n’est toujours pas la norme. La raison en est que les patients qui ont besoin de transfusions de manière régulière (par exemple,. les patients atteints d’un cancer) peuvent développer des anticorps anti-K et ont donc besoin de sang Kell compatible.
Or, si la transfusion de sang Kell compatible aux femmes de moins de 45 ans devenait la norme, il pourrait ne pas avoir assez de sang Kell pour traiter l’ensemble des patients. Dans le passé, le phénotypage Kell des donneurs de sang n’était pas viable d’un point de vue financier. Cela n’est plus le cas grâce à l’évolution de la technologie. Aujourd’hui, la Société canadienne du sang connaît le phénotype Kell de 25 % de ses donneurs – le phénotype Kell est automatiquement inscrit sur l’étiquette des unités de concentrés de globules rouges lorsque deux des dons du donneur ont fait l’objet d’un phénotypage. Ces améliorations rendent la transfusion de sang Kell compatible de plus en plus réalisable.
La maladie hémolytique du nouveau-né survient chez environ une femme enceinte sur 20 000. La transfusion de sang Kell compatible aux jeunes femmes préviendrait le développement d’anticorps anti-K, ce qui pourrait constituer une manière efficace de réduire les cas de cette maladie au Canada et dans tout pays qui ferait de cette pratique la norme en matière de transfusion.
À propos de l’équipe de recherche
Mindy Goldman est directrice médicale à la Société canadienne du sang, Sécurité transfusionnelle et analyses, Services médicaux et innovation, à Ottawa (Ontario). Debra Lane est directrice médicale à la Société canadienne du sang, Services médicaux et innovation, à Winnipeg (Manitoba). Kathryn Webert est directrice médicale à la Société canadienne du sang, Utilisation des produits sanguins, Services médicaux et innovation, à Hamilton (Ontario). Robert Fallis est directeur adjoint aux Services diagnostiques, Société canadienne du sang, Winnipeg (Manitoba).
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Goldman A, Lane D, Webert K, Fallis R: The prevalence of anti-K in Canadian prenatal patients. Transfusion 2015; 55:1486-1491
Remerciements : L’étude a été financée par la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères de la Santé fédéral (Santé Canada), provinciaux et territoriaux. Les opinions exprimées dans le présent bulletin ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada.
La Société canadienne du sang remercie les donneurs de sang et les patients qui ont permis de mener cette étude.
Mots-clés : groupe sanguin, RhD, K, Kell, prénatal, allo-immunisation, antigène, anticorps, maladie hémolytique du nouveau-né
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Mindy Goldman, à mindy.goldman@blood.ca.
Le bulletin concentré de recherche est un outil de mobilisation des connaissances élaboré par le Centre d’innovation de la Société canadienne du sang.