Un pas de plus vers la fabrication d’un sang universel
En bref ...
L’amélioration d’une enzyme permet de couper les antigènes érythrocytaires déterminants des groupes sanguins et
ouvre la voie à la « fabrication » d’un sang universel.
C’est grâce aux antigènes que le corps peut distinguer ses propres cellules des cellules étrangères. La transfusion de sang d’un groupe sanguin incompatible à une personne risque de déclencher une réaction immunitaire contre les globules rouges transfusés et rendre la personne malade. Il existe plus de 30 groupes d’antigènes érythrocytaires, les groupes ABO et Rh étant les plus importants d’un point de vue clinique. Les globules rouges peuvent posséder un ou plusieurs des antigènes A, B et O, et chaque groupe sanguin est associé à un rhésus positif (présence de l’antigène D du groupe Rh) ou négatif (absence de l’antigène D du groupe Rh).
Ce sont ces combinaisons qui donnent les huit groupes sanguins les plus importants, à savoir A, A-, B, B-, AB, AB-, O et O-. On pourrait comparer les antigènes à des drapeaux sur des porte-drapeaux : chaque antigène représente un drapeau que notre système immunitaire reconnaît et interprète d’une certaine façon. Imaginons que le drapeau représentant le groupe A soit bleu et que celui représentant le groupe B soit jaune. Les globules rouges du groupe AB présenteraient, à leur surface, des porte-drapeaux avec des drapeaux bleus et jaunes. Par contre, les globules rouges du groupe O ne présenteraient que des porte-drapeaux vides, puisque les antigènes A et B ne s’expriment pas à la surface de ce type de globules rouges. Les personnes du groupe O- sont considérées comme des donneurs universels, car comme nous l’avons montré dans l’exemple avec les drapeaux, les globules rouges du groupe O ne possèdent pas d’antigènes susceptibles de déclencher une réaction immunitaire. Par conséquent, le sang du groupe O peut être transfusé en toute sécurité à n’importe qui.
On peut couper l’extension des antigènes érythrocytaires – enlever les drapeaux – présents sur les globules rouges des groupes A et B en utilisant des enzymes. On obtient alors des globules rouges présentant des antigènes raccourcis non spécifiques, similaires à ceux que l’on retrouve à la surface des globules rouges du groupe O (porte-drapeaux sans drapeaux). Il existe des enzymes naturelles capables de couper les antigènes A et B, mais il en faudrait des quantités incroyables pour traiter l’ensemble des globules rouges contenus dans une unité de sang.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
À Vancouver, des chercheurs de l’Université de Colombie-Britannique ont entrepris de fabriquer une enzyme améliorée capable de couper les antigènes A et B. Ils ont tout d’abord travaillé sur une enzyme de la bactérie Streptococcus pneumonia en altérant un grand nombre de ses blocs constitutifs – des acides aminés – afin de En bref… L’amélioration d’une enzyme permet de couper les antigènes érythrocytaires déterminants des groupes sanguins et ouvre la voie à la « fabrication » d’un sang universel. Un pas de plus vers la fabrication d’un sang universel trouver l’agencement le plus efficace pour couper les antigènes.
On appelle cette approche une « évolution dirigée ». L’efficacité des enzymes obtenues a été testée après chaque altération. Ce processus séquentiel a permis aux chercheurs de sélectionner les formes enzymatiques les plus performantes afin de les perfectionner. Ils ont ensuite utilisé la technique de cristallisation pour solidifier les enzymes et d’analyser leur structure. Pour savoir si les antigènes avaient été coupés, ils ont utilisé des anticorps qui se lient aux antigènes et qui émettent une lumière fluorescente, ce qui facilite l’observation au microscope.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
Les chercheurs ont testé 5 nouvelles formes enzymatiques basées sur la structure et les capacités de l’enzyme d’origine. Après différents essais, ils ont pu créer une enzyme dont le pouvoir de coupure est 170 fois plus élevé que l’original. Bien que les antigènes raccourcis ne soient pas exactement identiques aux antigènes érythrocytaires du groupe O, ils y sont comparables.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Les transfusions sanguines font partie intégrante des traitements prodigués chaque année à des milliers de patients au Canada. Il est donc nécessaire de bien gérer le cycle perpétuel de la demande et de l’approvisionnement en produits sanguins afin que chaque patient reçoive le produit dont il a besoin en temps et en heure. Évidemment, le sang du groupe O, universel, est très demandé, car il peut être utilisé en cas d’urgence, quand on n’a pas le temps de déterminer le groupe sanguin de la personne. C’est pour cette raison que 12 per cent des commandes que la Société canadienne du sang reçoit des hôpitaux sont pour du sang O-, alors que seuls 7 per cent de la population canadienne sont de ce groupe.
Les donneurs O- représentent 10 per cent des donneurs de la Société canadienne du sang, ce qui est supérieure à la moyenne nationale. Malgré cette forte représentation, la Société canadienne du sang demande inlassablement aux donneurs O- de faire un don tous les 56 jours afin de répondre aux besoins des hôpitaux. Ce rythme étant difficile à maintenir, cela conduit à un déséquilibre entre la demande et l’approvisionnement en sang O-. L’utilisation de concentrés érythrocytaires d’autres groupes sanguins pourrait aider à résoudre ce problème. Les chercheurs ont mis au point une enzyme qui peut couper beaucoup d’antigènes sans qu’on ait besoin d’en utiliser une grande quantité. Il s’agit d’un pas de plus dans l’élaboration d’un groupe sanguin qui pourra être transfusé à la plupart des gens. Le groupage sanguin deviendra-t-il une pratique dépassée pour autant?
À court et à moyen termes, non. Il nous faudra réaliser plus d’études d’« évolution dirigée » pour pouvoir optimiser cette enzyme et convertir la totalité des globules rouges d’une unité de concentré érythrocytaire en vue d’une transfusion. En outre, il reste encore à démontrer que les globules rouges traités avec l’enzyme améliorée ne déclenchent aucune réaction immunitaire chez la personne transfusée. Il s’agit là d’étapes essentielles avant de pouvoir « fabriquer » du sang universel qui pourra être utilisé dans les hôpitaux. Il est toutefois enthousiasmant de noter que malgré le chemin qu’il reste à faire, la mise au point de cette enzyme nous rapproche de plus en plus de la création d’un sang universel.
À propos de l’équipe de recherche
L’étude a été dirigée par Stephen G. Withers, professeur au département de chimie et de biochimie, et membre du Centre for High-Throughput Biology de l’Université de Colombie-Britannique (Vancouver, C.-B.) en collaboration avec Jayachandran N. Kizhakkedathu, professeur associé au département de pathologie et de médecine de laboratoire, membre associé du département de chimie et membre du Centre for Blood Research de l’Université de ColombieBritannique (Vancouver, C.-B.). L’étude a été réalisée en collaboration avec le département de biochimie et de microbiologie de l’Université de Victoria (Victoria, C.-B.), ainsi qu’avec le Centre de recherches sur les macromolécules végétales du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (Grenoble, France).
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Kwan DH, Constantinescu I, Chapanian R, Higgins MA, Kötzler MP, Samain E, Boraston AB, Kizhakkedathu JN, Withers SG: Towards efficient enzymes for the generation of universal blood through structure-guided directed evolution. J. Am. Chem. Soc. 2015; 137:5695-5705
Remerciements : Cette étude a été réalisée avec le soutien financier de la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères provinciaux, territoriaux et fédéral de la Santé, et les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). L’infrastructure a été financée par la Fondation canadienne pour l’innovation, le British Columbia Knowledge Development Fund, le programme Chaires de recherche du Canada et la Fondation Michael-Smith pour la recherche en santé. David. H. Kwan a reçu des bourses de recherche postdoctorale IRSC et Michael-Smith. Rafi Chapanian a reçu une bourse de recherche postdoctorale conjointe IRSC-Société canadienne du sang, et est stagiaire postdoctoral à la Fondation Michael-Smith pour la recherche en santé. Jayachandran N. Kizhakkedathu a reçu une bourse de chercheur de carrière Michael-Smith. Stephen G. Withers est titulaire d’une chaire de recherche de niveau 1 en biologie chimique. Ce Concentré de recherche a été préparé par Christa Klein, étudiante des cycles supérieurs affiliée au Centre d’innovation de la Société canadienne du sang.
Mots-clés: antigène, groupe sanguin, enzyme, globules rouges, donneur universel.
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Stephen G. Withers au withers@chem.ubc.ca ou Jayachandran N. Kizhakkedathu au jay@pathology.ubc.ca